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intronisait le style ; dans la Flûte enchantée, Christine Nilsson, jetait aux échos de l’avenir sa note de valkirie, et les habiles du moment, les inspirés de la dernière heure, voyant de quel côté soufflait le vent, quittaient bien vite Molière pour Goethe et pour Shakspeare, en se disant comme Sganarelle que, puisqu’il y a « fagots et fagots, » la grande affaire pour un bûcheron qui connaît son métier est de s’arranger de manière à débiter du jour au lendemain le bois dont le public se chauffe. Comment le Théâtre-Lyrique a-t-il pu s’écrouler de la sorte ? par quelle suite d’accidens néfastes une scène à ce point fréquentée, adoptée, que tant de patronages soutenaient, en est-elle venue à tomber en de si désastreuses conditions ? Il y a là évidemment une de ces contradictions inexplicables dont il faut demander compte aux instabilités de la vie actuelle. Il en est aujourd’hui d’une administration publique comme de la fortune privée des individus. Hier la salle regorgeait de monde, deux bureaux ne suffisaient pas à la location ; hier vous avez laissé la maison pleine de luxe et de fanfares, aujourd’hui vous revenez, personne, plus d’affiche ! Entre la splendeur et la ruine, entre les recettes et le désastre, plus un moment pour se reconnaître. Les sages du XVIIe siècle aimaient à mettre un temps de repos entre le monde et l’éternité. Notre âge, qui simplifie tout, a supprimé ces intervalles, la débâcle arrive presque sans craquement. On sombre, on disparaît en plein calme.

La succession étant ouverte, l’Opéra-Comique s’adjuge les Dragons de Villars. C’est son droit, c’est aussi peut-être un peu son devoir envers un auteur dont ce théâtre n’avait rien donné depuis Lara. Je n’ai nul envie de surfaire les qualités de cette musique ; c’est assez de l’apprécier à sa valeur pour s’en expliquer la popularité, la durée. Les Dragons de Villars ont été représentés partout en province, traduits à l’étranger. La pièce est amusante ou du moins passe pour telle, et contient les élémens vitaux de tout bon opéra-comique appelé à faire son chemin dans le monde. Il y a là, comme dans Fra Diavolo, la cloche de l’ermite, comme dans le Déserteur, le Philtre et la Permission de dix heures, le militaire troubadour, et, comme dans la Somnambule, l’amoureux sentimental qui se croit trompé, et renie un moment sa passion « devant tout le village ; » n’importe, de cette pièce, bonne ou mauvaise, au demeurant point ennuyeuse, un type s’est dégagé. Qui ne connaît Rose Friquet, ce laideron que l’amour enjolive ? Dans quel concours du Conservatoire, sur quelle scène de banlieue n’a point figuré avec son air et son duo cette petite Fadette cévenole, espiègle et dévouée, soumise et tendre, toujours penchée au bord des précipices, toujours aux écoutes pour le bien de ceux qu’elle veut secourir, et si charmante sons ses haillons ? Charmante, c’est peut-être beaucoup dire, eu égard à la physionomie que Mme Galli-Marié affecte aujourd’hui de donner au personnage. C’est en vérité trop de haillons ; le pittoresque, au moins à