Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop ces duels de pinsons auxquels on a préalablement crevé les yeux à la hollandaise, et qui s’égosillent de parti-pris jusqu’à la mort ; mais M. Richard Wagner, qui ne cesse de parler à tout venant de « la mélodie de la forêt, » n’a rien dans son inspiration du grand naturalisme de Weber, sa musique est au contraire une continuelle abstraction, et l’on ne doit point à ce propos tant s’étonner de le voir se passionner pour des sujets qui ne vivent guère que dans son entendement. Eisa, Vénus, Éva, ne sont point des personnes, ce sont des idées, et là sera toujours chez nous le grand obstacle à l’adoption pure et simple de ses ouvrages. Sa musique après tout en vaut une autre, et même très souvent vaut mieux que plupart de celles que produit l’heure actuelle. Il n’y a plus aujourd’hui que les voltigeurs de la cadence parfaite pour s’en aller en guerre obstinément contre un art qui rachète ses dissonances et ses accords brisés par des inspirations telles que la marche de Tannhäuser, le chant nuptial de Lohengrin ou le motif du rêve dans les Maîtres chanteurs. Le jour donc où M. Richard Wagner en voudra finir avec ses poèmes systématiquement absurdes et pédantesques, on peut affirmer qu’il aura fait un sort à sa musique. Il est vrai que je parle ici au seul point de vue de la France, car vis-à-vis des Allemands sa gageure est à peu près gagnée, et l’enthousiasme avec lequel les habitans de Munich viennent d’accueillir cette épopée pantagruélique dépasse tout ce qu’on pouvait attendre. Le roi de Bavière était là, gravement campé dans sa loge, M. Richard Wagner à ses côtés comme un adjudant ; il semblait que ce fût lui qui livrât bataille. S’effaçant volontiers dans la politique et dans la guerre, ce très jeune souverain, sur lequel lors de son avènement l’Allemagne avait pourtant beaucoup compté, aime à se donner ainsi en spectacle dans les tournois de la paix. Le vieux Metternich disait : « Il n’y a en ce monde que deux places, la scène ou la loge ! » Le roi de Bavière a laissé prendre la scène au prince de Prusse, et se contente d’occuper la loge avec son maestro Richard Wagner.

Les Dragons de Villars, que vient de reprendre l’Opéra-Comique, eurent jadis pour première scène le Théâtre-Lyrique, alors au boulevard du Temple, et modestement voué à ce genre de comédie à ariettes plus ou moins développées qui sera toujours, quoi qu’on fasse, le privilège exclusif de la salle Favart. Le Bijou perdu d’Adam, la Fanchonnette de Clapisson, l’ouvrage de M. Aimé Maillard, furent les succès de cette période, qu’une ère plus illustre et définitivement musicale devait suivre, à la grande satisfaction du public contemporain, dont les aspirations vont chaque jour s’élargissant, et qui, une fois mis en goût d’enthousiasme pour les vrais chefs-d’œuvre, ne s’arrêta plus. Orphée, avec Mme Viardot, avait donné la première impulsion ; vinrent alors Oberon, Euryanthe, Fidelio, et quand le déménagement se fit à la place du Châtelet, l’évolution était complète : on avait rompu avec ses origines, on en était aux maîtres. Mme Miolan, dans les Noces de Figaro,