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dont la responsabilité est incessamment en jeu, qui défend ses actes, ses idées, sa politique, au lieu d’être le simple porte-parole d’un système, d’une volonté dont il n’a pas toujours tous les secrets, n’a pas une autorité plus sérieuse, plus efficace ? La responsabilité est sa force en même temps que son frein. Et par le fait ce que nous disons ici, c’est ce qui ressort d’une expérience d’hier. Est-ce que cette session même qui s’achève ne vient pas de montrer encore une fois, que les ministres qui dirigent les affaires, qui les font chaque jour, sont aussi les plus capables d’en porter le poids, c’est-à-dire en définitive d’en répondre devant les chambres ? Il semblait que ce fût une révolution étonnante que ce retour des ministres dans l’enceinte du corps législatif. Ils y ont paru, et leur intervention a imprimé aussitôt aux discussions un caractère plus sérieux. Le maréchal Niel, avec sa parole nette, résolue et forte, a certainement eu un grand poids dans toutes les questions militaires. Le ministre de la marine, M. l’amiral Rigaud de Genouilly, a conduit son navire dans les eaux parlementaires comme ailleurs. M. Magne a exposé et soutenu son budget avec la parfaite lucidité et l’autorité persuasive d’un esprit qui se sent maître de son sujet. M. Rouher, lui, est l’homme universel et il est à l’aise partout. Il parle de finance ou de guerre, de diplomatie ou d’économie politique avec l’assurance que lui donnent une position privilégiée, une grande puissance de travail et une longue habitude des affaires. Au fond, c’est assurément l’homme le plus parlementaire qui existe, le moins fait pour s’inquiéter d’une révolution qui rehausserait l’action ministérielle, et avec une responsabilité personnelle mieux définie il serait resté certainement à l’abri de ces contradictions d’idées ou de paroles qui sont la fatalité de sa situation. D’autres ministres encore ont parlé et ne s’en sont pas plus mal tirés, tout en bronchant quelque peu parfois. Tous ces hommes en un mot ont joué effectivement et sérieusement, le rôle des représentant du pouvoir sous les. anciens régimes parlementaires. Seulement ce n’est là encore qu’un fait, on doit en convenir. Entre ce qu’on vient de voir et un ministère responsable, homogène, lié par une solidarité d’idées et d’efforts, il y a du chemin. C’est cette dernière étape qu’il s’agit de franchir pour rentrer dans la vérité des institutions libres, et c’est là ce que nous voudrions retenir comme la moralité de la session laborieuse qui vient de se clore. Après tout ce qui a été fait, ce dernier progrès apparaît avec la lumineuse évidence d’une nécessité. C’est une condition de sincérité et de force dans notre vie publique telle qu’elle tend à se reconstituer, et plus que jamais l’action de la France a besoin de se dégager de toutes les obscurités, de se relever dans sa netteté virile, de secouer l’inertie des endormis, de se préciser dans un sens libéral à l’intérieur pour retrouver au dehors un ascendant ou tout au moins un rôle digne d’elle.

Sera-ce dans la paix, sera-ce dans la guerre que la France retrouvera ce rôle ou cet ascendant ? Bien habile serait celui qui pourrait dire ce