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les critiques « par une parole sans responsabilité, » et l’autre jour M. Jules Favre, reprenant ce mot, répondait à son tour : « Je demande à M. le ministre où est la sanction de la sienne ?… Quelles qu’aient été les paroles du ministre, elles ont été comme les nôtres sans responsabilité… » Et l’un et l’autre avaient raison. La responsabilité n’existe réellement ni pour le ministre ni pour le député ; ils parlent tous deux, et leur parole est dépourvue de sanction. Nos assemblées ressemblent encore plus ou moins à ce tribunat du premier empire qui discutait sans voter devant un corps législatif qui votait sans discuter. Par un phénomène étrange, la vie publique se trouve ainsi scindée. La discussion est d’un côté, la responsabilité est ailleurs, là où est le droit de décision suprême, et c’est précisément ce qui fait la faiblesse de notre régime. On pourrait dire que nous avons tous les inconvéniens des institutions parlementaires sans en avoir les vrais et solides avantages. Nous avons la discussion brillante, animée, dramatique, comme objet d’art ou de luxe ; nous n’avons pas reconquis cette virile et sérieuse délibération qui n’est qu’une forme de l’action politique. C’est là le progrès qui reste à réaliser, et cette session qui s’achève a plus que jamais mis en lumière la nécessité de donner une autorité nouvelle à l’intervention du pays dans ses propres affaires, de ramener l’action et la responsabilité là où est la délibération publique. C’est ce que nous appelons la moralité de la dernière session. L’extension même qu’a prise la vie parlementaire ne serait qu’un piège ou une représentation stérile, si elle ne devait être complétée par ce progrès nouveau dont M. Thiers a si souvent démontré la nécessité avec sa lumineuse éloquence, et qui s’appelle la responsabilité parlementaire.

C’est là au fond ce qui met la vérité et la force dans les institutions, dans la vie publique. Prétendre élargir le cadre dès débats parlementaires, vivifier l’organisme politique par une sève nouvelle de liberté en retenant la responsabilité avec le droit souverain de l’action, c’est la plus futile des illusions. C’est simplement s’exposer à réunir les faiblesses de tous les régimes. Le jour où on est entré dans une certaine voie de progrès constitutionnel, ce jour-là, qu’on le sache ou non, on allait droit à la responsabilité ministérielle. On fera des façons pour y arriver, mais on y arrivera, parce que c’est dans la nature des choses, et que sans cela on n’aboutit qu’à la confusion. La responsabilité, c’est la condition même d’un régime de sérieuse délibération publique. Croyez-vous qu’un député qui ne parle pas seulement pour parler, qui peut exercer une influence directe, décisive, sur les plus grandes affaires d’état, et qui le sait, n’est pas plus porté à mesurer sa parole, à éviter les déclamations vagues ? Croyez-vous qu’une majorité qui se serait sentie responsable parce qu’elle aurait eu un droit plus complet de décision n’eût pas reculé plus d’une fois, et n’eût pas arrêté plus d’une entreprise, ne fût-ce que l’aventure mexicaine ? Pense-ton qu’un ministre