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avec passion, si l’on veut, et la majorité par trop aveugle, par trop docile, c’est l’opposition qui a eu raison.

Au demeurant, cette fatale expédition du Mexique qui vient maintenant se résumer dans une allocation de 4 millions inscrite au budget, cette expédition laisse pour tous des enseignemens qu’il ne faudrait pas dénaturer. C’est une leçon un peu adoucie, mais suffisamment rude encore pour les petits capitalistes, toujours prêts à engouffrer leurs épargnes dans les emprunts venus de tous les coins de l’horizon. C’est une leçon aussi pour la majorité. Quel honneur a-t-elle recueilli et quelle force a-t-elle donnée à un gouvernement qu’elle aime en prodiguant un dévouement infatigable dans une entreprise qu’au fond elle n’approuvait guère ? Il s’est trouvé dans la dernière discussion quatre-vingts voix pour renvoyer à la commission l’article relatif au règlement de l’indemnité mexicaine ; si ces quatre-vingts voix s’étaient rencontrées dès l’origine de l’expédition, elles eussent peut-être rendu à l’empire, au risque de lui déplaire, l’inestimable service de le contraindre à réfléchir avant d’aller plus loin. Et pour le gouvernement lui-même la leçon la plus claire, c’est que les enivremens d’omnipotence ne servent à rien, ils se dissipent devant la force des choses, qui dégrise les plus superbes. On part avec cette idée de fonder un empire, d’aller rajeunir la race latine au-delà des mers, qui sait ? de recueillir peut-être dans les mines du Potose de quoi combler tous les déficits ; on revient en laissant une tombe, afin d’éviter une guerre contre nature avec les États-Unis, et sous le poids de cette obligation singulière d’indemniser soi-même ceux au nom desquels on était allé chercher des réparations au bout du monde. Ce n’est pas brillant, mais c’est encore sage, et, si elle n’a rien produit de mieux par elle-même, l’expédition du Mexique a eu du moins ce résultat indirect et imprévu de hâter dans le pays le réveil de toutes les idées de contrôle et de responsabilité, qui vont en se fortifiant, qui ont retenti si souvent depuis près d’une année et jusqu’à la dernière heure dans l’enceinte du corps législatif.

La solution de cette triste affaire des compensations mexicaines est donc le dernier, mais non le seul épisode de cette longue session, et dans ces débats si multiples, si animés, si substantiels, il y a comme une moralité qu’il faudrait dégager. Assurément, depuis quelques années, les mœurs politiques ont retrouvé une certaine force. L’habitude des libres et fortes discussions est rentrée dans nos assemblées, et jusque dans la majorité elle-même le sentiment de l’indépendance s’est manifesté de temps à autre par d’éclatantes dissidences. A n’observer que la surface, c’est la réalisation graduelle et presque complète de toutes les conditions du régime parlementaire ; quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit aussitôt qu’il manque justement ce qui fait la force et la noblesse de ce régime, la responsabilité. Dans une circonstance, M. Rouher accablait l’opposition sous ce virulent reproche d’accumuler