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comprendre immédiatement l’utilité. Depuis le 1er juillet 1811 jusqu’au 31 décembre 1867, les recettes générales de l’exploitation ont été de 6,389,119,855 fr. et les dépenses de 1,982,995,739 fr. 98 centimes : bénéfice net, près de 4 milliards et demi. Cela vaut la peine qu’on alimente avec soin une si bonne vache à lait.

Ces bénéfices déjà si importans, et qui sont, quand on les examine de près, un allégement notable pour la nation, sont-ils encore susceptibles d’une augmentation qui, en se produisant, permettrait peut-être de diminuer d’autres charges ? Sans aucun doute ; mais, pour obtenir ce résultat, convient-il, comme on l’a fort imprudemment demandé, de supprimer une seconde fois la direction-générale ? Nullement. Ce serait une trop singulière anomalie que de subordonner une exploitation purement technique à une administration exclusivement fiscale. Si l’on veut modifier la situation actuelle de ce service, il y a mieux à faire que de le décapiter de nouveau et de tourner toujours dans le même cercle. Le caractère dominant pour ne pas dire absolu de ce monopole est industriel, de plus il se rattache au commerce par des achats directs de matières premières dont la valeur dépasse annuellement 42 millions de francs, à l’agriculture par la surveillance de plantations qui produisent chaque année 22 millions de kilogrammes de tabacs indigènes. La vraie place de la direction des tabacs nous semble devoir être au ministère de l’agriculture et du commerce, auquel elle appartient de droit par la nature de ses attributions. Si c’est en raison de l’impôt dont ils sont l’objet qu’on maintient les tabacs dans une situation anormale au ministère des finances, pourquoi les canaux n’iraient-ils pas les rejoindre, puisqu’on y acquitte un droit de parcours, les chemins de fer, puisqu’ils sont atteints par l’impôt du dixième, et les lycées, les facultés, les écoles militaires, puisque les élèves y versent une somme qui rentre au trésor public ? La situation, telle qu’elle est déterminée aujourd’hui, est irrégulière, et de plus elle n’est pas sans quelque danger. Bien souvent en effet l’esprit inventif des ingénieurs vient se briser contre les réserves exagérées du fisc. Les employés supérieurs des finances sont à coup sûr des hommes éminens, mais ils manquent pour la plupart des connaissances techniques qui sont indispensables pour diriger, même de très haut et d’un peu loin, une industrie qui donne 200 millions de bénéfices par an. Au lieu de surveiller trop mesquinement cette poule aux œufs d’or et de compter les grains de blé qu’elle picore, il faut élargir son nid, lui jeter les grains à poignée, et lui donner ainsi une force de production qui quintuplera ses couvées. Toute dépense qui a pour but une amélioration dans la mécanique, dans la main-d’œuvre, dans l’aménagement, dans la matière première, est une plus-value au bout