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cette saveur légèrement ammoniacale qu’on nomme le montant, et qui, taquinant la membrane pituitaire, produit cette irritation si précieuse aux priseurs. Au bout d’un an, le râpé humide est enfin devenu râpé parfait.

Toutes les cases qui datent d’une même époque et dont le contenu offre un aspect satisfaisant sont vidées à tour de rôle et rapidement. Ce genre de travail est assez pénible pour les débutans ; ce n’est pas impunément que les premières fois ils remuent ces masses chaudes d’où s’échappent des émanations ammoniacales assez vives ; cela pique les yeux, provoque des éternumens répétés, et amène dans quelques cas des maux de tête violens. On s’y habitue cependant, plus vite même qu’on ne pourrait le croire, et bientôt l’on n’y pense plus. Néanmoins les ouvriers spécialement chargés de cette besogne ont le teint d’une pâleur mate et grisâtre. C’est là une simple décoloration du derme, et non point un indice de faiblesse, car on peut les voir enlever et manœuvrer sans trop de gêne des sacs pesant 80 kilogrammes. Tout le tabac sorti des casés est réuni dans la salle des mélanges, où 400,000 kilogr. de poudre à priser peuvent trouver place. Là tous les tas séparés sont jetés les uns sur les autres et mêlés de façon à donner de l’homogénéité à ce qu’on appelle une fabrication. Dans cette masse, lorsque les élémens des cases différentes sont absolument confondus ensemble, un échantillon est prélevé au hasard et porté au laboratoire, où l’on s’assure qu’il présente toutes les qualités requises. Quand l’expérience a prononcé, et qu’elle est favorable, le tabac est emballé après avoir été tamisé de nouveau, afin qu’on puisse pulvériser les parties grumeleuses qui se sont formées pendant la période de fermentation. Le râpé est mis dans des tonneaux où, comme le raisin dans une cuve de vendange, il est foulé par un homme qui le piétine et le tasse à l’aide d’un pilon de fer. Est-ce enfin terminé et va-t-on pouvoir le livrer au commerce ? Pas encore, il faut qu’il séjourne deux mois entre les douves, qui, le pressant de toutes parts, permettent aux molécules d’acquérir le plus haut degré de saveur possible. En nous résumant, si nous nous rappelons que la feuille récoltée reste dix-huit mois dans les magasins, que, coupée en gros, elle a été six mois aux masses, que, pulvérisée, elle a eu deux mois de cases comme râpé sec, un an comme râpé humide, et qu’elle demeure en tonneau deux mois comme râpé parfait, nous voyons qu’il ne faut pas moins de trois ans et quatre mois pour faire une prise de tabac.

Ce qui donne à la fabrication régie par l’état une supériorité incontestable en cette matière, c’est qu’il opère sur des quantités énormes, dont l’amoncellement seul, en dehors des excellens