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les trémies, être trituré par les moulins, monter dans la noria pendant des années entières. On calcule qu’en général il faut qu’un fragment de tabac fasse dix fois le voyage complet du haut en bas de la maison et subisse dix fois la morsure des moulins avant d’être accepté par les tamis. Dans cet atelier, comme dans tous ceux où le tabac se présente sous forme de poudre ou de feuilles volantes, les ouvriers sont chaussés de longues bottes de toile rattachées au genou, qui leur permettent d’aller et de venir sans maculer, sans détruire, sans emporter sous leurs pieds des parcelles qui peuvent être utilisées pour la fabrication.

Le tabac étant porphyrisé, on peut croire qu’il n’y a plus qu’à le mettre dans des boîtes et à chanter : J’ai du bon tabac dans ma tabatière. Patience, nous n’en sommes pas encore là. Il prend dès lors le nom de râpé sec et est enfermé, à l’abri de la lumière, dans de fortes cases en bois de chêne. Là il reste deux mois, et fait une sorte de stage comme pour se reposer des manipulations qu’il a subies et se préparer à celles qui l’attendent bientôt. Il participe à la température extérieure ; mais, comme il est parfaitement desséché, on n’a pas à craindre qu’il soit atteint par une fermentation intempestive. Au bout de huit ou dix semaines, il est enlevé du réduit où il était enfermé et jeté à la pelle dans une cuve carrée qui peut contenir 2,000 kilogrammes de poudre. Là il reçoit une mouillade, effectuée à raison de 18 pour 100 d’eau contenant elle-même 15 pour 100 de sel marin, de sorte que par cette seconde mouillade 5 kilogrammes de chlorure de sodium sont incorporés à 100 kilogrammes de tabac à priser. Devenu ainsi du râpé humide, il est de nouveau remis en cases par masses compactes de 25 à 30,000 kilogrammes. C’est là qu’il doit éprouver la seconde fermentation. Pour activer cette dernière, on prend dans une case où déjà le ferment est en travail une portion de tabac échauffé qu’on met dans la poudre récemment mouillée, absolument comme les boulangers mêlent un fragment de pâte fermentée qu’ils appellent le pâton à la farine trempée qu’ils veulent faire lever. L’énorme armoire est alors hermétiquement fermée, et sur la porte on attache une pancarte qui relate la date de la fabrication, de la mouillade, les élémens qui composent la poudre et le jour de la mise en case. La température s’élève peu à peu, et au bout de deux ou trois mois elle atteint environ 45 degrés. De temps en temps, on visite les cases, on en vérifie la chaleur. Au bout de trois mois, on en retire tout le tabac, qu’on remet immédiatement dans une autre, en ayant soin auparavant de le mêler, de façon que chaque partie soit atteinte par.une fermentation égale, qu’il perde l’excès de nicotine et l’acide malique qu’il renfermait encore, et qu’il développe