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poussière qui pénètre dans la gorge et provoque la toux, les feuilles sont portées dans une salle dallée pour y subir la mouiîlade. Méthodiquement répandues, empilées, elles sont aspergées d’eau contenant 10 pour 100 de sel marin. L’eau versée sur la face externe descend peu à peu par infiltration jusqu’aux couches inférieures, s’écoule déjà brunie dans une rigole qui la conduit à une large cuve où les ouvriers la reprennent pour la jeter de nouveau sur les feuilles. Elles restent là vingt-quatre heures sous l’influence d’une humidité persévérante qui finit par les imprégner complètement, leur donne une souplesse analogue à celle du linge mouillé, et permet qu’on les développe avec facilité sans risquer de les briser. Le sel qui entre dans le liquide de la mouillade a pour but de mettre obstacle à toute fermentation putride qui se produirait infailliblement par le contact prolongé de l’eau pure avec une matière végétale. Lorsque les feuilles ont atteint le degré d’humidité et de flexibilité voulu, on les transporte dans la salle du hachage. Les hachoirs pour le tabac râpé ont une action tellement rapide que deux suffisent aux besoins de la manufacture, et encore ne sont-ils en œuvre que pendant une partie de la journée. Les feuilles, prises en paquet, sont entassées et poussées par un ouvrier dans une auge aboutissant à un cylindre dentelé qui les saisit et les fait glisser en quantités à peu près égales vers un tambour armé de six lames obliques. Ces lames très tranchantes, dans le mouvement de rotation imprimé au tambour par la vapeur, viennent cent vingt fois par minute raser le cylindre et y rencontrer les feuilles, qu’elles coupent régulièrement en lanières larges d’un centimètre. Le tambour, par l’agilité des évolutions giratoires, fait l’office de van et chasse dans un sac accroché à l’orifice antérieur de l’appareil toutes tes parcelles de tabac qui s’accumulent à vue d’œil et voltigent dans le coffre de la machine comme des brins de paille entraînés par l’orage. Cet outil très bruyant et d’une force irrésistible taille facilement 1,200 kilogrammes de tabac en une heure. Parfois, lorsque les longs rubans de tabac encore humide, s’accumulant entre les parois internes de la boîte et le tambour emporté par la rotation, ne tombent plus avec régularité dans le sac ouvert qui les attend, un ouvrier passe son bras dans cette formidable machine et ramène d’un seul geste toutes les feuilles paresseuses. Il est impossible de voir cela sans trembler, car il suffirait d’un écart insignifiant pour que le bras, saisi dans la roue armée, retombât en lambeaux.

Du premier étage, où travaillent les hachoirs en gros, le tabac est ramené au rez-de-chaussée dans une salle tout en bois. C’est là qu’on établit les masses. Ce sont de véritables meules pareilles à celles que les paysans construisent dans les champs avec les foins