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impressions élevées s’expliquent par le degré extraordinaire de vie morale que manifestent les deux ou trois personnages principaux de cette scène mythologique. Galatée, c’est l’incarnation de la douleur dans la beauté. L’antique Niobé, dont elle rappelle les traits, ne souffre pas autant et n’est pas plus belle. L’art grec n’avait pas osé mettre tant de passion dans d’aussi belles formes. Il avait eu raison à son point de vue, car, même quand il peignait, l’art grec croyait devoir toujours suivre les lois de la sculpture, et celle-ci redoute justement les agitations violentes. Avec la clairvoyance du génie, Raphaël a compris que la peinture pouvait le prendre d’un vol plus large et plus hardi. Timanthe cacha, dit-on, le visage d’Agamemnon pleurant Iphigénie qu’on allait immoler. Ce trait, vrai ou faux, ne sera jamais imputé à Raphaël, qui a découvert non-seulement le visage, mais le corps magnifique de Galatée à l’heure même où la mort d’Acis a fait succéder pour elle les angoisses du désespoir aux ravissemens de l’amour. La douleur de la néréide purifie sa nudité. À travers ce corps ravissant, l’âme transparaît, et c’est elle qui conquiert l’attention et maîtrise le regard. En voyant cette attitude si pathétique, personne n’accordera que l’artiste n’ait obéi qu’au désir de peindre la nudité pour elle-même. D’autre part, devant tant de beauté physique, comment se laisser aller à de mystiques interprétations ? Ni si bas, ni si haut. La Galatée exprime le sentiment purement psychologique et humain de la douleur amoureuse sous des formes parfaites que l’âme remplit et domine sans rien ôter à la beauté du corps. L’inspiration païenne a passé par là ; mais elle a rencontré l’intelligence moderne, qui, tout en l’admettant, l’a domptée.

Veut-on d’ailleurs soumettre cette appréciation à une contre-épreuve décisive, qu’on étudie les tableaux grecs ou modernes conçus d’après la même donnée. La seule Galatée peinte dont l’antiquité fasse mention est celle que vante Philostrate. La description qu’en donne ce rhéteur, d’après un tableau qui n’existe plus, suggère l’image d’une jolie nymphe nue portée dans un char que mène un double attelage de dauphins. Elle est là, jouant sur les eaux, heureuse, souriante, le sein palpitant, appuyée sur son bras replié et laissant traîner hors du char son pied blanc dans les vagues claires. Un voile léger, gonflé par la brise, abrite son front et jette sur son visage un reflet rose, moins rose que l’incarnat de ses joues. De son âme, pas un mot. D’ailleurs en a-t-elle une ? Si Raphaël a cédé au penchant impérieux que certains critiques lui prêtent, s’il a mis son ambition à n’offrir aux regards qu’un « bel animal » féminin, que n’a-t-il donc suivi le texte de Philostrate ? Cet auteur était alors connu, et les savans amis de l’artiste, tous plus ou moins