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que nous fumons aujourd’hui. La prise de possession des manufactures par les anciens élèves de l’École polytechnique et surtout l’installation de la direction-générale ont eu immédiatement un triple résultat qu’il est juste de signaler : amélioration des produits, accroissement de la fabrication, remplacement de la main-d’œuvre par des procédés mécaniques perfectionnés. On sait maintenant le pourquoi de toutes choses, on peut facilement prévoir les accidens, les empêcher de se manifester. Dès qu’un problème se présente, il est étudié scientifiquement, expérimenté et résolu. On est arrivé à déterminer exactement les mystères de la fermentation, à préciser. les dosages, à combiner les mélanges, à débarrasser la plante des principes malsains qu’elle contient, tout en lui conservant une saveur recherchée ; on a délivré les hommes de travaux rebutans et pénibles ; les chevaux aveuglés qui tournaient le manège sont remplacés par les machines à vapeur ; enfin l’analyse chimique a découvert les principes nutritifs particuliers que le tabac demandait à la terre. On marche donc sans tâtonnemens, éclairé par des théories que la pratique a vérifiées, et l’on est dans une voie d’amélioration qui ne paraît pas encore près de trouver un terme.

Il ne faut pas croire que les polytechniciens soient aptes à rendre beaucoup de services aux manufactures lorsqu’ils sortent de l’école. Dans ce dernier établissement, ils ont surtout appris à apprendre, ils ont acquis un instrument de travail général qui a besoin d’être développé et spécialisé. De même qu’il faut passer deux années à l’École des ponts et chaussées avant de pouvoir construire un pont, il faut, avant d’être admis au grade d’ingénieur aux tabacs, rester pendant deux années à l’École d’application ou, comme on dit, au laboratoire. Il suffira de rappeler que Gay-Lussac a dirigé ce laboratoire pour faire comprendre à quels hommes élevés dans la hiérarchie des sciences on le confie généralement. L’École d’application pour les tabacs est fort modestement installée dans le bâtiment qui jadis contenait la pompe à feu du Gros-Caillou. Les dépenses qu’elle exige sont peu considérables, et ne sont guère en rapport avec les 180 millions que les tabacs rapportent annuellement. Le matériel et le personnel grèvent notre budget d’une somme de 17,200 francs. Une partie de l’installation néanmoins paraît suffisante ; le laboratoire, où tous les fourneaux sont alimentés par le gaz, est très grand, outillé d’une façon convenable, et a vu distiller plus de poisons que les Exili et les Borgia n’en rêvèrent jamais. Parfois dans cette large salle, où les murs en carreaux de faïence blanche renvoient une lumière douce et puissante, on amène un lapin trop confiant ou un chat lâchement attiré par un morceau de mou. Une baguette de verre trempée dans de la nicotine