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sophistications que les marchands de comestibles font aujourd’hui encore subir à leurs denrées malgré l’étroite surveillance dont ils sont l’objet, on imaginera facilement ce que pouvait être ce commerce spécial dans ce temps-là. Sous le nom de tabac, on fumait toutes les herbes de la Saint-Jean, des feuilles de choux, des feuilles de noyer, du varech, du foin ; on prisait du tan, du poussier de mottes, des racines de lichen d’Islande porphyrisées et bien d’autres choses. Les vrais amateurs faisaient à grands frais venir leur tabac de la Hollande, qui du moins fournissait des produits sincères de Varinas et de Virginie à la marque des trois rois. Cette situation se prolongea jusqu’au milieu de la période impériale. Une anecdote caractéristique amena, dit-on, le régime du monopole exclusif, qui dure encore et ne paraît pas près de prendre fin. Au commencement de l’hiver de 1810, à un bal donné au palais des Tuileries, l’empereur vit passer devant lui et remarqua une femme couverte de diamans. Il demanda quelle était la personne qui était assez riche pour étaler une telle profusion de pierreries. On lui répondit que c’était Mme R., dont le mari était fabricant de tabacs. Ce renseignement ne fut pas perdu pour l’empereur, et dès le 29 décembre de la même année un décret, complété par un autre du 11 janvier 1811, décidait que dorénavant la fabrication et la vente des tabacs appartiendraient exclusivement à l’état. Comme l’expérience manquait et qu’on craignait de faire des écoles onéreuses, on employa les anciens fabricans ; mais on avait appris à se défier de leurs façons de procéder, et, pour les soumettre à une surveillance rigoureuse, on les plaça sous la direction immédiate des droits réunis, qui plus tard sont devenus nos contributions indirectes. C’est donc en réalité de 1811 que date l’organisation régulière des manufactures de tabac en France. Le monopole, renouvelé tous les dix ans, a été prorogé jusqu’au 1er janvier 1873 par la loi du 23 mai 1862.

La régie des tabacs a été soumise aux contributions indirectes jusqu’en 1831. À cette époque, elle devint une direction relevant du ministère des finances. En 1848, le ministre, ne se rendant pas sans doute un compte bien net de ce que pouvait être cette administration compliquée, qui touche en même temps à l’agriculture, à l’industrie et au commerce, remit les choses sur l’ancien pied ; les contributions redevinrent maîtresses absolues du monopole, qui ne fut plus considéré que comme une affaire fiscale. Les inconvéniens d’une telle organisation, qui enlevait au service de l’exploitation du monopole des tabacs un conseil spécial dans lequel tous les perfectionnemens et tous les. procédés de fabrication étaient discutés et approfondis à un point de vue d’ensemble, ne tardèrent pas à frapper les yeux les moins clairvoyans, et un décret du 12 mars 1860