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lequel notre religion s’est conservée intacte et pure, soit qu’il l’ait reçue des premiers apôtres de l’Évangile, soit qu’il l’ait rétablie de ses mains dans sa primitive simplicité, nous déclarons dans ce cas que nous sommes prêts à faire cause commune avec nos frères et alliés de la foi réformée, et à délibérer sur les moyens les plus efficaces de consoler et de sauver ce peuple si cruellement opprimé[1]. » Ce qui prouve le vif intérêt que le protecteur portait aux vaudois, c’est sa lettre à Louis XIV, où il ne craint pas de lui dire qu’il s’agit de réparer un crime que ses troupes ont commis de compte à demi avec celles de Savoie. « Il m’a été rapporté, lui dit-il, mais je ne suis pas encore certain du fait, que ce massacre a été exécuté par vos propres troupes, conjointement avec celles du duc de Savoie. » Louis XIV nia toute participation, et Cromwell lui répond le 31 juillet : « Je suis heureux d’apprendre de votre majesté que je m’étais trompé, que ces assassinats n’ont pas eu lieu par votre commandement et par votre autorité. »

Les deux interlocuteurs étaient dans le vrai : les troupes françaises avaient bien réellement trempé dans le massacre, mais sans en avoir reçu l’ordre du roi ni même de leurs chefs immédiats, ainsi qu’il résulte des documens que nous avons consultés. Ce n’est pas du maréchal que l’ordre est venu, puisqu’il n’était plus aux vallées le 24 avril. Il avait vu à quelle œuvre on voulait faire concourir sa brigade, et il s’était retiré en France. L’année suivante, rencontrant à Paris l’historien Léger, il lui dit : « Je reconnais fort bien maintenant qu’on se voulait servir de moi pour vous couper à tous la gorge, et puis me faire trancher la tête à moi-même. » L’ordre n’était pas venu des capitaines des régimens, car nous possédons la déclaration de trois d’entre eux faite à Pignerol le 27 novembre suivant. Du Petit-Bourg, capitaine du régiment de Grancey, rejette énergiquement toute responsabilité dans le sang versé. « Je nie formellement, dit-il, et proteste devant Dieu que rien des cruautés commises n’a été exécuté par mon ordre ; au contraire, voyant que je n’y pouvais apporter aucun remède, je fus contraint de me retirer et d’abandonner la conduite de mon régiment pour n’assister à de si mauvaises actions. » Dans un post-scriptum de la lettre dont nous avons l’original sous les yeux, le capitaine Saint-Hilaire, du régiment d’Auvergne, et le capitaine Dufaure, du

  1. Voici ce curieux passage dans l’original : Sin ea in sententia perstiterit, ut apud quos nostra religio vel ab ipsis Evangelii primis doctoribus tradita, par manus et incorrupte servata, vel multo antequam apud cæteras gentes sinceritati pristinæ restituta est, eos ad summam desperationem redactos, deletos funditus ac perditos velit, paratos nos esse testamur aliquod vobiscum cæterisque reformatis fratribus ac sociis consilium capere, qua maxima ratione saluti atque solatio tot hominum afflictorum consulere commodissime queamus.