Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fenile. Toutefois, sur cette zone qui touchait à la Rocca di Cavour, on ne pourra élever des temples ; mais les dissidens seront libres de se rendre dans ceux des montagnes. Faculté pleine et entière d’aller et de venir, de vendre et d’acheter dans les états de son altesse, avec la restriction de ne pas s’y établir et d’éviter la propagande, amnistie du passé, restitution des biens confisqués, confirmation des privilèges anciens, tel est en substance ce fameux traité de Cavour.

Cette législation a régi les vaudois jusqu’en 1655. Pendant cette période de près d’un siècle, ils n’ont pas eu de guerre à soutenir contre leur souverain ; mais leur existence a été un combat continuel contre l’Abbadia, contre les bandits à sa solde et contre les moines introduits dans les vallées en vertu d’une stipulation du traité de Cavour. « Ils arrivaient par bandes, écrit Jean Léger[1], et célébraient la messe au grand étonnement de la population. » Pour comprendre dans quels termes se trouvaient les barbes avec eux, il faut assister à une scène de controverse dans le temple de Saint-Jean, où ce même Léger joue le principal rôle. « Je ne fus pas plus tôt installé à Saint-Jean comme pasteur, dit-il, que voilà une nouvelle volée de pères missionnaires fraîchement envoyés de Rome. Leur préfet s’appelait padre Angelo, grand colosse quant au corps, mais estimé bien plus grand quant à l’esprit. Il vint me surprendre un mercredi au prêche, quand j’avais déjà prononcé tout mon exorde. J’avais ce jour-là commencé ma prédication en français, et, sachant que cette langue était barbare aux nouveau-venus, je me mis à l’italien, et relus mon texte en cette langue. » On peut juger par ce texte de la fureur de controverse qui animait les deux religions. Il est tiré de l’Apocalypse, IX, 3, où il est question de sauterelles immondes « sorties du puits de l’abîme et qui ont un pouvoir semblable à celui des scorpions. » Le prédicateur s’ingénia pendant une heure sur ce verset. « Je n’omis, dit-il aucun des rapports qu’on peut établir entre les sauterelles et les moines. » Padre Angelo et son escorte bondissaient à leur place, et quand le sermon fut fini, ils éclatèrent en argumens de la même force contre le démon de la réforme et ses suppôts. Ces jeux de mots ne faisaient de mal ni à l’un ni à l’autre des deux partis en présence, car ce n’est point par des controverses passionnées qu’une croyance est diminuée ou augmentée. Les moines passèrent à des choses plus positives. Soutenus par les fonds du conseil de la propagande, ils fondèrent dans chaque commune vaudoise une sorte de banque des consciences, des monts-de-piété à la mode italienne, entretenus par les libéralités de l’aristocratie piémontaise, qui prêtait largement aux pauvres vaudois sur une seule signature

  1. Histoire des églises évangéliques des vallées vaudoises, Leyde, 1659.