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sans l’altérer, rendre la beauté tour à tour sévère et attendrissante, pathétique et terrible. Pour le constater, franchissons un intervalle de dix années, et allons voir travailler Raphaël dans la villa d’Augustin Chigi, appelée depuis la Farnésine. Ce n’est pas que, de 1504 à 1514, il eût renoncé aux sujets antiques : il en avait traité plusieurs avec une puissance toute nouvelle. Pour ne parler que des principaux, il avait exécuté au Vatican l’École d’Athènes et le Parnasse. Toutefois, quelque admiration que l’on professe pour ces grandes compositions, on ne pourrait y signaler ni la vitalité brillante ni la riche plasticité qui ont élevé Raphaël presque à la hauteur des maîtres grecs. Dans l’École d’Athènes, œuvre essentiellement philosophique, ces qualités eussent été déplacées. Le Parnasse au contraire les réclamait ; cependant l’Apollon de Raphaël, bien que noble, élégant et très supérieur à celui de Mantegna, laisse à désirer un peu plus de santé et de vigueur olympiennes. Près de lui, les Muses, d’ailleurs savamment groupées, ressemblent trop à d’aimables personnes du XVIe siècle travesties en vierges païennes. Tout autre est l’impression que l’on recueille quand, en sortant des chambres du Vatican, on se rend à la villa Chigi.

Là, il faut étudier d’abord la fresque du Triomphe de Galatée, antérieure de quelques années à celles où est représentée l’Histoire de Psyché. Galatée n’occupe dans l’olympe païen qu’un rang fort secondaire, et, quoique Homère lui ait donné le nom d’illustre, il est permis de penser que, sans Raphaël, la fille de Nérée et de Doris n’eût guère été connue des modernes. Comment fut-il amené à choisir ce sujet ? Ses biographes ne le disent pas, mais il est possible de le conjecturer. Les écrits des anciens nous offrent trois aspects différens du personnage de Galatée. Celle de Théocrite est une jeune Sicilienne, sensuelle et provoquante, qui lance des pommes sur les moutons de Polyphème pour attirer son attention et exciter ses désirs. Un peu moins hardie, mais aussi rustique, la Galatée de Lucien est une coquette de village, fière à l’excès d’avoir été distinguée par le géant, dont elle vante, en se rengorgeant, la beauté mâle et le talent de virtuose. Au contraire la néréide des Métamorphoses d’Ovide est une charmante reine des mers, passionnée, mais délicate, éprise du bel Acis et exécrant Polyphème. Elle raconte elle-même à Scylla, sa confidente, qu’un jour, comme elle reposait sur le sein de son amant, le cyclope les avait surpris et que, dans sa fureur jalouse, il avait écrasé le pauvre Acis sous un énorme quartier de roche. À cette vue, folle de douleur, Galatée s’était précipitée dans les eaux pour regagner le palais de son père. — Les savans amis de Raphaël lui exposèrent sans doute les trois versions de la légende mythologique. On tint conseil probablement, et cha-