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III

On voudrait effacer du brillant tableau historique de la maison de Savoie cette entreprise obscure qu’elle n’a pu heureusement achever. Rien n’est pénible pour l’historien libéral comme de voir une race royale remarquable entre toutes par son tempérament débonnaire sortir de sa tradition et de son caractère. On sent qu’elle n’est pas libre de faire autrement, et c’est là son excuse. Elle est poussée par la force inexorable qui mène à la croisade les grandes monarchies, l’Espagne, l’Autriche, la France elle-même, et ce n’est qu’à contre-cœur qu’elle s’engage dans ce duel contre la dissidence religieuse. Après chaque persécution, elle est saisie de pitié, son naturel revient, elle pardonne, elle accorde un édit de tolérance et de paix ; mais elle est ramenée à la charge, excitée, irritée par un spectateur invisible et partout présent. Rome menace, le pape lance des brefs et des bulles d’extermination, le clergé séculier et régulier s’agite en-deçà et au-delà des Alpes, la fameuse association de propaganda fide et exterminandis hœreticis, fondée à Turin dès la fin du XVIe siècle et qui a compté parmi ses membres tous les grands noms de l’aristocratie piémontaise, entoure le prince, et lui montre sa gloire, la sécurité et l’unité de la monarchie intéressées à la destruction des vaudois. La secte aurait infailliblement disparu, si elle n’avait pas été, elle aussi, environnée d’une nuée de témoins qui l’ont soutenue de leurs regards, de leurs sympathies et de leurs bras. La longue résistance des vaudois paraîtrait un effet sans cause, si on n’entrevoyait pas à l’arrière-plan la réformation debout derrière eux. Chaque fois qu’ils sont pressés par l’ennemi et en danger de périr, le monde protestant est saisi d’une vive émotion ; d’énergiques représentations diplomatiques arrivent à la cour de Turin, on fait des collectes dans les églises, on prie, on s’agite, des bras s’arment, et par les cols des Alpes passent secrètement les huguenots français, les rudes compagnons des Mouvans, des Coligny, des Lesdiguières, qui tombent comme l’avalanche sur l’agresseur venant de la plaine italienne. Cette double intervention du catholicisme d’un côté, de la réformation de l’autre, est visible dans les affaires vaudoises. Elle rétablit l’égalité des forces entre les deux combattans, et explique comment ce petit peuple a pu triompher d’ennemis si puissans et si nombreux.

La première persécution eut lieu aussitôt après le retour d’Emmanuel-Philibert dans ses états. Heureux du changement de domination qui les délivrait du parlement de Turin, de ses commissions et de ses arrêts, pleins d’espérance en la bonté du nouveau souverain et de sa femme Marguerite de France, « la bonne duchesse, »