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continua jusqu’au lieu du supplice de crier à la foule de se convertir et de croire. Devant le bûcher, un envoyé du parlement vint encore lui offrir la vie et la liberté, s’il voulait seulement dire un mot de rétractation. Au lieu de lui répondre, il fléchit le genou et ne parla plus qu’à Dieu. Sa prière révèle l’esprit qui animait ces apôtres du valdisme renouvelé. « Seigneur, dit-il, fais-moi la grâce de persévérer jusqu’à la fin, pardonne à ceux dont la sentence va délier mon âme de son corps : Seigneur ! ils ne sont pas iniques, mais ils sont aveuglés. » Ce n’est là ni l’enthousiasme théâtral des émissaires vaudois que nous avons vus quelques siècles auparavant, ni leur emportement contre l’église dominante. La foi de ceux-ci est plus éclairée, leur attitude devant le supplice est plus chrétienne, c’est-à-dire plus conforme à l’exemple du Christ, le type parfait du dévouement et du martyre.

Ce n’était là qu’un commencement d’épreuves. Irrité de cette dissidence qui s’épanchait sur la plaine malgré ses arrêts, le parlement de Turin nomma en 1557 une commission pour aller explorer la région vaudoise. Elle s’y fit précéder d’un édit menaçant pour les sectaires qui refuseraient de se soumettre à la religion du roi, mais plein de promesses séduisantes pour ceux qui obéiraient. Promesses et menaces, tout fut inutile, pas un vaudois ne se soumit. On fuyait, on gagnait les hauteurs à l’approche des parlementaires, qui ne trouvèrent personne à qui parler, excepté quelques familles d’Angrogna qui furent conduites à Pignerol. L’un des commissaires, le président de Saint-Julien, ordonne à l’un des prisonniers d’observer l’édit et de faire rebaptiser son enfant. Le vaudois se tira d’embarras par une réponse qui désarma le président : « Qu’il vous plaise, dit-il, me donner auparavant un écrit signé de votre main par lequel vous me déchargez du péché que je pourrais commettre en faisant rebaptiser mon enfant. » Étonné de ce trait, le parlementaire, qui était Français et homme d’esprit, renvoya le paysan en lui disant : « Ote-toi de devant mes yeux, j’ai assez à répondre de mes péchés sans me charger des tiens. » Le parlement rendit, sur le rapport de sa commission, un édit souverain qui obligeait les vaudois à se conformer, sous peine de mort, au rite dominant ; mais les événemens extérieurs détournèrent pour un moment la tempête prête à fondre sur la dissidence alpestre. Par un de ces brusques retours de la fortune si fréquens dans son histoire, la maison de Savoie venait de reparaître avec éclat sur la scène politique. Emmanuel-Philibert, injustement dépouillé par François Ier, venait de reconquérir le trône de ses ancêtres sur les champs de bataille de Gravelines et de Saint-Quentin. C’est lui désormais, ce sont ses successeurs, qui vont entreprendre l’œuvre ingrate de ramener l’Israël des Alpes sous le niveau de la foi commune.