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date de l’an 1400, exprimée en toutes lettres dans le sixième vers.

Ben ha mil e cent ancz compli entierament.

Mais voici qu’on vient de retrouver à la bibliothèque de Cambridge le fameux manuscrit dit de Morland que cet envoyé de Cromwell à la cour de Turin avait rapporté en 1655 des vallées vaudoises. Au vers en question, il y a entre mil et cent un espace blanc qui a vivement attiré l’attention du bibliothécaire, M. Bradshaw, le savant modeste qui a retrouvé le manuscrit. De cet espace blanc inusité, il a pu faire ressortir un quatre en chiffre arabe. qui avait été gratté. Dans un autre manuscrit qui ne renferme que les treize premiers vers du poème, également retrouvé par lui, il a lu à la même place un quatre en lettres romaines, ce qui ramène la composition de la Nobla Leyezon vers l’an 1400. On ne s’explique pas le but de cette falsification, qui ne porte que sur la date, car l’existence du valdisme avant cette époque n’est pas mise en doute, et la preuve qu’il existait bien avant comme secte constituée, ce sont les brefs et les bulles d’excommunication, les sommes théologiques énormes, les efforts et les guerres dirigés contre cet ennemi dès les premiers temps du moyen âge. Ce n’est donc point l’ancienneté du valdisme qui est en question, c’est l’identité des doctrines religieuses professées avant et après la réformation que toutes les autres altérations signalées ont pour objet de faire passer dans l’opinion protestante. Que la Nobla Leyezon soit du XIIe ou du XVe siècle, cette identité n’en est pas moins un pur mirage historique.

La critique a jeté les hauts cris à la découverte de ces fraudes pieuses, et, l’esprit de parti s’en mêlant, on s’est attaqué aux dogmes qu’elles avaient pour but de vieillir et de montrer comme ayant été professés par les vaudois antérieurement à la réformation. Sur le dos de ces compilateurs peu scrupuleux, on a voulu frapper l’orthodoxie des confessions de foi du XVIe siècle. Essayists anglais, professeurs allemands et libéraux de France ont triomphé sur toute la ligne. Pour nous, qui ne sommes ni des uns ni des autres, ni de Pierre, ni de Paul, ni d’Appolas, nous nous garderons bien de nous mêler à ce concert de récriminations. Qu’y a-t-il dans ces fraudes de si extraordinaire ? Toutes les légendes se forment de la même manière. Quand une idée s’est emparée violemment de l’esprit, elle produit partout les mêmes phénomènes moraux, et il se rencontre toujours un moine Isidore ou un barbe illuminé pour la faire pénétrer de gré ou de force dans les faits antérieurs et pour lui fabriquer les documens les plus authentiques, les fausses décrétales et les fausses donations. La légende protestante qui a fait de pauvres pâtres des Alpes les précurseurs et les ancêtres de