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les catholiques eux-mêmes s’y trompèrent. Les défenseurs de Rome virent aussi dans les protestans les continuateurs de ces sectaires odieux excommuniés jadis. Eck et Vimpina, deux controversistes romains, reprochent à Luther de renouveler l’hérésie vaudoise et albigeoise. Jean de Cardona fait le même reproche à Calvin, et, pour prouver sa thèse, il donne une nouvelle édition de l’historien le plus passionné des guerres religieuses du XIIIe siècle, du moine Pierre de Vaux-Cernay[1], en tête de laquelle on lit ces deux mauvais vers qui résument toute la pensée de l’éditeur :

Tout cela que commet la secte genevoise,
L’hérétique albigeois l’avait plus tôt commis.


Un jésuite va plus loin et prétend avoir découvert vingt-sept articles de la foi vaudoise qui seraient, d’après lui, identiques à ceux des nouveau-venus. C’est au XVIIe siècle seulement que la controverse catholique s’est aperçue que l’argument dépassait le but, et que la doctrine rivale ainsi vieillie n’en était que plus imposante. Alors on adopta une tactique contraire : on s’efforça de prouver que la réformation était un effet sans cause, qu’il n’y avait eu avant Luther et Calvin aucune protestation, aucun doute exprimé sur l’infaillibilité de l’église. Pour les Bossuet et les Arnaud, le passé protestant n’existe pas, et toute cette histoire curieuse qui nous a occupés jusqu’ici est un rêve. Cependant tout n’est pas vain, on le sait, dans cette exégèse de la réformation. Celle-ci est bien réellement le développement de la semence jetée dans la conscience religieuse par ces semeurs errans dont nous avons suivi les traces. Les barbes ont été les porte-drapeau de la libre pensée. Quand le monde est courbé sous le niveau de la règle émanée de Rome, ils en appellent à une règle supérieure, à la Bible ; ils la traduisent, la commentent, l’apprennent par cœur et l’opposent à la tradition. Toute la réformation est là ; mais croire que les révoltés antérieurs y avaient lu exactement les mêmes dogmes que les protestans du XVIe siècle, c’est là l’illusion, la grosse illusion.

Il est curieux de voir comment le valdisme renouvelé essaya de démontrer qu’il n’avait pas changé. Les vaudois s’efforcèrent de s’arranger un passé religieux conforme à celui qu’entrevoyait la sympathie trop complaisante de leurs nouveaux coreligionnaires. Ils avaient rejeté ces restes de catholicisme que nous avons observés chez eux, les vœux de pauvreté et de virginité, le célibat des barbes, la confession auriculaire, le nombre traditionnel de sept sacremens, etc. Tous ces débris de l’ancienne croyance juraient avec la nouvelle orthodoxie réformée. Il fallut les reléguer dans une ombre discrète, et autant que possible les faire

  1. Petrus Vallium Ceroaii, Historia Albigentium.