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été ôtée. » Il fut décidé d’un commun accord qu’on en ferait une traduction complète, car à cette époque il n’y avait encore en français que les quatre Évangiles traduits par Lefèvre d’Étaples, et Robert Olivétan, ce personnage que l’on a cru avoir accompagné Farel et Saunier, fut chargé de ce grand travail. Pour couvrir les frais de l’entreprise, les pâtres des Alpes s’imposèrent pour la somme considérable de 1,500 écus d’or. L’ouvrage parut trois ans après à Neuchâtel en Suisse. Dans la préface, datée « des Alpes, ce 7 février 1535, » l’auteur put dire à juste titre que sa traduction était un don de joyeux avènement de l’ancienne protestation à la nouvelle. « Le pauvre peuple qui te fait ce présent, s’écria-t-il en s’adressant à la France, fut déchassé et banni de ta compagnie il y a plus de trois siècles ; c’est le vrai peuple de patience, lequel en foi, en espoir et en charité a silencieusement vaincu tous les assauts et efforts que l’on a pu faire à l’encontre de lui. »

Il n’y eut pas d’opposition sur les questions dogmatiques, du moins l’opposition, s’il y en eut, n’a laissé aucune trace dans les documens ; mais quand on en vint à la nécessité de se découvrir en face de l’église romaine et d’opposer publiquement autel contre autel, le petit peuple sentit son cœur défaillir à la pensée des tempêtes que sa manifestation allait déchaîner. Il se rappela les épreuves des ancêtres, la grande tribulation du midi, la croisade et ses bûchers, les assauts multipliés qu’il avait subis chaque fois qu’il avait voulu professer ouvertement son culte. Aussitôt que cette question fut mise à l’ordre du jour, l’assemblée, jusque-là d’un même esprit et d’un même cœur, fut agitée par des courans opposés, et se scinda en deux fractions d’inégale force. L’une, la plus faible, conservatrice des anciens usages, dirigée par les deux barbes Daniel de Valence et Jean de Molines, alla tenir ses séances sous un châtaignier, non loin du groupe principal, présidé par Farel, et qui résolut de professer sa foi publiquement, coûte que coûte. En dehors de ces deux fractions, il s’en formait çà et là d’autres dispersées sur le flanc de la colline ; on y discutait vivement la question. Il fallut toute l’éloquence de maître Guillaume pour retremper les volontés, affermir les cœurs et retenir en un seul faisceau l’Israël des Alpes, menacé d’un schisme. Pendant sept jours, il parle, il prêche, il prie, il tonne, et sa voix retentissante frappe à la fois les oreilles des deux assemblées, atteint jusqu’aux groupes populaires dispersés sous la châtaigneraie. « Le temps des dissimulations est passé, s’écrie-t-il ; laissons ce fard par lequel on défigure l’Évangile, ne cherchons pas à complaire servilement à l’adversaire, allons rondement en besogne. Si nous nous accommodons en quelque pratique, toute la doctrine ira bas, tout l’édifice sera renversé. » Sa haute taille, ses manières de grand seigneur, son