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pendant quelque chose y manque. Quoi donc ? Là pas plus qu’ailleurs, Mantegna n’a réussi à dominer ses modèles antiques. Il s’en souvient, il les imite, parfois même il les répète quand il ne faudrait que s’en inspirer. Au lieu de saisir la belle forme par une heureuse intuition, il semble l’avoir poursuivie avec effort et péniblement maîtrisée. En contemplant ses travaux, que ce soient des compositions religieuses ou de vastes panathénées militaires, comme les Triomphes de César, on ne souscrit qu’à demi à ce mot du Squarcione devant les fresques des Eremitani à Padoue : « pure imitation des marbres antiques ! » Non, Mantegna n’a dérobé aux belles statues grecques ni les frissons de vie heureuse qui parcourent leurs veines, ni la bienveillante sérénité de leurs fronts, ni l’attrait de leur incomparable sourire.

Afin de marquer mieux encore le point où en était le sentiment de la beauté plastique chez les précurseurs de Raphaël, faisons en avant un pas de plus, et citons le propre maître du Sanzio. Le Pérugin paraît avoir ordinairement échoué dans l’expression de la grâce et de la perfection des formes grecques en restant trop en-deçà, c’est-à-dire en imposant aux sujets païens le style mystique de l’école ombrienne. Les figures des planètes, celles des grands hommes de l’antiquité qu’il a peintes au Cambio, à Pérouse, ne sont grecques et romaines que de nom. Une fois cependant il s’est plus librement lancé dans les voies mythologiques. En 1504, la duchesse de Mantoue, Isabelle d’Este, lui avait commandé un tableau destiné à faire pendant au Parnasse de Mantegna. Réunies à l’origine, les deux toiles sont entrées ensemble au musée du Louvre. Le Pérugin a représenté le Combat de l’Amour et de la Chasteté. Au milieu d’un vallon consacré à Vénus, les Amours traînent par les cheveux ou par des liens de soie des nymphes qu’ils ont percées de leurs flèches d’or. La Chasteté accourt : elle brise les armes de ces cruels enfans et les frappe avec leurs flambeaux. Au fond, des satyres, complices des Amours, sont, eux aussi, rudement châtiés. Ces personnages présentent les aspects les plus divers de la nudité absolue, et, chose étrange, en cette occasion le peintre mystique, jusque-là si réservé, s’est emporté, et a dépassé un moment la limite. Sa retenue excessive, sa raideur ascétique, sont remplacées ici par une mollesse et une langueur presque sensuelles. La tête des femmes a gardé le caractère virginal, ou peu s’en faut ; mais les corps, les hanches surtout, ont je ne sais quelles ondulations voluptueuses. On n’aurait pas expliqué cet excès de hardiesse en disant que le tableau n’est qu’une esquisse légère et rapide. La vérité est, croyons-nous, que Pietro Vanucci y parle un langage qu’il a appris à aimer, qu’il connaît même dans une certaine mesure, mais qui ne lui est pas