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reçu par elle comme un nouvel Ovide et un autre Calvin. Pendant près d’une année on le vit présider un cercle de précieuses et de théologiennes que la duchesse avait appelées de France, et qu’animaient surtout le zèle et le savoir de Mme de Soubise et de sa fille, Mme de Pons ; mais le duc de Ferrare était loin de partager les enthousiasmes et d’épouser les querelles de sa femme : son protecteur et son ami, l’empereur Charles-Quint, l’invitant à ne point tolérer que son palais devînt une officine de commérages et de pamphlets, il résolut de renvoyer en France tout oe petit troupeau. Marot eut vent de son dessein, et s’alla réfugier à Venise ; mais l’ennui le gagna dans cette ville de silence et de dissimulation. Il prit sa plume, écrivit au dauphin une épître attendrie, prétexta des affaires, le besoin de revoir sa famille, disant d’ailleurs « qu’il était tout changé, ne parloit plus que sobrement, s’arrêtoit sur chaque mot une heure, avant de le prononcer, et ne répondoit à tout que de la tête. » Le roi connut l’épître et se reprit à sourire : le moment était bien choisi, on était las de sévérités : Rome elle-même conseillait la douceur. Marot fat écouté, il eut un sauf-conduit, et vers la fin de 1536, après deux ans d’absence, il repassait la frontière, séjournait quelque temps à Lyon, puis rentrait dans sa vraie patrie, la cour ; mais à quelles conditions et en quelles circonstances ?

D’abord, selon toute apparence, il avait abjuré. On n’en a pas la certitude, seulement tous ses compagnons d’exil n’étaient rentrés qu’en abjurant ; il n’est donc guère probable qu’il ait pu s’affranchir de cette loi commune. Lui-même, dans certains vers, semble faire allusion à quelque gros ennui de ce genre. Et ce n’était pas là son seul mécompte, tout était si changé dans cette cour depuis ces deux années ! La reine Marguerite paraissait si prudente, et tout le monde s’observait tant ! Plus de joyeux ébats, de libres moqueries ! Et puis la place de Marot en son absence s’était trouvée remplie, il n’allait plus régner seul, sans rivaux : une ligue s’était formée de poètes de bas étage qui, à défaut de talent, professaient la vertu, et qu’unissait cette pensée commune de rendre au nouveau-venu la vie insupportable.

Marot comprit qu’il fallait louvoyer, et s’arma lui-même de prudence. Pour sa rentrée, il fit une pièce de vers intitulée le Dieu ffard’ à la court, titre aujourd’hui vieilli, par conséquent bizarre. mais franche et heureuse inspiration. C’était un salut poétique adressé à tous ceux qu’il revoyait, et un traité de paix offert aux envieux dont il redoutait les embûches. Dans cette série de souhaits noblement exprimés et d’un ton plus ému, plus sérieux, plus élevé qu’à lui n’appartient d’ordinaire, après avoir demandé à Dieu