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fils, sans affecter les savantes allures, car sa première éducation avait été trop négligée pour qu’il fît grand abus de citations et de souvenirs classiques, sa poésie n’en était pas moins froide, abstraite et contournée, selon le patron du jour ; du reste, pur amateur, demi-soldat, demi-poète, écrivain de commande, quêteur obséquieux, ne pratiquant que le petit côté de la poésie de cour, dont il allait pourtant, à peu d’années de là, devenir un des modèles les plus fins et les plus excellens.

La transformation du poète ne devait s’opérer que par un changement complet survenu dans sa vie. D’abord il était passé de la maison de Villeroy au service de la duchesse d’Alençon, la célèbre Marguerite, devenue depuis reine de Navarre, et le cœur, la raison, l’esprit et le langage, tout chez Marot s’était renouvelé au commerce assidu et sous l’active influence de cette femme supérieure ; puis son père était mort vers 1526, et par une sorte d’héritage, sur le rôle des gens à gages de Mgr de Valois, le frère de Marguerite, devenu roi de France, devenu François Ier, le fils avait été, non sans peine et sans bien des prières de la duchesse elle-même, substitué au père ; au lieu de Jean, on inscrivit Clément. C’était presque une dette du prince : dans l’année précédente, Clément devant Pavie avait partagé l’infortune royale et s’était vaillamment conduit. Blessé au bras, prisonnier comme le roi, mais délivré plus tôt que lui, grâce au dédain des impériaux pour le petit butin et les petites gens, il avait regagné la France, et oncques depuis ne paraît avoir manié ni lance ni épée. Il s’était donné tout aux lettres, ne courant plus qu’un seul but, n’exerçant que sa nouvelle charge, et s’y révélant bientôt avec un éclat, un succès au-dessus de toute espérance, mais au prix de bien des tourmens, au prix de deux exils et de tribulations assez cuisantes pour avoir, selon toute apparence, de beaucoup abrégé sa vie.

Est-ce donc seulement cette charge de cour, ce titre de valet de chambre, cette rente assurée sur l’épargne royale, qui du soir au matin l’avait remis à neuf et affranchi de la rouille scolastique et pédante des d’Authon, des de Bigne, des Delavigne, des Crétin, et autres émules de son père ? Non, mais il avait subi je ne sais quelle influence de cette entrée plus directe à la cour, de cette facilité d’approcher de plus près la personne royale, de l’action personnelle de ce roi qui, sans qu’on puisse dire comment, avait du magicien et fascinait son monde : plein d’aimables défauts, faible et changeant, sans défense contre les séductions, « atteint des dames au corps et à l’esprit, » comme disait de lui le vicomte de Saulx, aimant le faste pour le faste, la guerre pour la guerre, affolé de chasse et de plaisirs, pauvre roi s’il en fut, et cependant grande