Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortes d’écrits, le soin d’encourager la veine romanesque de M. d’Héricault ; c’est un travail d’un autre genre, plus sévère et non moins attrayant, que nous voulons recommander à ceux qui savent encore tenir en juste estime les efforts d’une critique substantielle, savante et originale.

Quel est donc ce travail ? L’œuvre de Clément Marot rendue à sa pureté native grâce à la révision et aux comparaisons les plus patientes et les plus sûres des primitives éditions. Le texte restitué est précédé d’une vie du poète, portrait de l’homme et de son époque, qui est à lui seul tout un livre. Nul n’était en mesure de tracer ce portrait avec un plus heureux mélange d’exactitude et d’imagination. Le sujet est charmant, le temps et le personnage délicieux à peindre. C’est en Quercy, dans la bonne ville de Cahors, au bord du Lot, ce torrent encaissé et limoneux, dans ce pays riant et coloré, rocailleux et fertile, que Marot vient au monde. Il est de famille normande ; ses parens habitaient les environs de Caen, et, sans qu’on sache trop pourquoi, étaient venus planter leur tente sous ce soleil méridional. L’enfant garda toute sa vie le souvenir de son pays, bien qu’il en fût sorti dès l’âge le plus tendre. « En une matinée, dit-il, n’ayant dix ans, en France fus mené. »

Est-ce attacher trop d’importance aux influences de race et de climat que de voir comme M. d’Héricault dans l’amalgame du sang normand et du soleil quercynois une des causes de cette verve tempérée, de cette délicatesse de tour et d’expression, de ce badinage élégant, la vraie gloire d’un si charmant esprit ? Et n’est-ce pas également ce mélange qui explique chez le poète un certain fonds de sérieux et de mélancolie caché sous les saillies du plus hardi libertinage, dégénérant plus tard en gravité huguenote, et produisant ces prétendues versions des psaumes., ces pâles imitations qui devaient lui valoir une autre renommée, peut-être encore plus bruyante, sinon d’aussi bon aloi ?

Quittant le Quercy pour la France, c’est à la cour que Clément avait été conduit, à la cour de la reine Anne, sorte de petit Parnasse que présidait cette princesse un peu pédante, mais élégante et bonne, sachant du grec et du latin, hospitalière aux lettres, entourée de femmes aimables et préparant les voies à la renaissance des Valois par les mêmes moyens dont ils devaient user, les femmes et la poésie, mais avec un vernis plus chrétien. C’était aux environs de l’an 1507 : l’enfant, avec ses dix années, devait donc être né vers 1497. À cette cour, son père, Jean Marot, avait trouvé moyen de s’introduire à titre de poète, car il rimait aussi, et passait même pour un des coryphées de l’école alors à la mode, la plus lourde, la plus guindée, la plus ampoulée des écoles, celle des grans