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les moyens qu’il emploie, et que l’église finira par perdre le reste de son temporel, que ceux qui seront assez fous et assez ignorans de leurs devoirs pour l’écouter perdront leur place, et que ce sera par sa faute. Il faut que cela soit dit avec vigueur. Il doit voir également ceux qui entourent le pape et les éclairer sur les fâcheuses conséquences que cela aura pour eux. Il est inutile que le pape écrive. Moins il fera de besogne et mieux cela vaudra. Il est nécessaire : 1° que le préfet envoie un état des individus qui sont auprès du pape, qu’il désigne les plus grands travailleurs, afin que je les renvoie pour ôter au pape le moyen d’écrire et de répandre le poison ; 2° que vous donniez ordre au préfet de ne plus expédier les lettres du pape pour le royaume d’Italie, le royaume de Naples, la Toscane, le Piémont, la France, de ne lui remettre aucune lettre et de les envoyer toutes ici. Vous en ferez le triage, et l’on ne donner à cours qu’aux lettres dont l’émission sera sans inconvénient. Faites-vous en conséquence envoyer toutes celles que le pape écrirait et celles qui lui seraient adressées. En général, moins ce qu’il écrit parviendra et mieux cela vaudra. »


Il est triste de lire ces prescriptions écrites de la main de celui qui, prisonnier à Saint-Hélène, devait un jour se plaindre si amèrement des souffrances de la captivité, et reprocher à ses geôliers des traitemens dont la rudesse n’approcha jamais de ceux qu’il avait lui-même cruellement appliqués au détenu de Savone. Se donner le plaisir de faire souffrir le pape dans sa personne, tel était bien le dessein de l’empereur, dont il ne songe nullement à se cacher.


«… Vous ferez connaître au préfet et au prince Borghèse que mon intention est que l’intérieur du pape se ressente du mécontentement que j’ai de sa conduite, et que l’état de sa maison soit réglé de façon à ne pas dépenser plus de 12 à 1,500 francs par mois. Les voitures qui avaient été mises à sa disposition pour lui et sa maison (le pape ne s’en était jamais servi) seront renvoyées à Turin. Recommandez au sieur Chabrol de ne plus rien dire dans ses discours qui tende à faire croire au pape que je désire un accommodement. Son langage doit être qu’après son excommunication et sa conduite à Rome, qu’il continue à Savone, je dois m’attendre à tout de lui, que je m’embarrasse fort peu de ce qu’il peut faire, que nous sommes trop éclairés pour ne pas distinguer la doctrine de Jésus-Christ de celle de Grégoire VII[1]… »


Les ordres de l’empereur furent exécutés à la lettre. Ils parvinrent à M. de Chabrol par le canal du prince Borghèse, qui s’était de

  1. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 31 décembre 1810. — Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.