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furent plus tard condamnés à mort. Ce qui est peut-être plus étrange que ces mesures elles-mêmes, c’est que l’homme chargé d’y présider, le duc de Rovigo, était sincèrement convaincu qu’elles étaient la preuve la plus éclatante de la mansuétude du régime impérial. A tous les malheureux ecclésiastiques que Napoléon lui envoyait pour qu’il les retînt prisonniers dans quelque sombre cachot, il ne se lassait pas de répéter incessamment ce qu’il venait justement de dire à l’abbé d’Astros lors de son premier interrogatoire. « Ah ! ah ! vous voudriez bien être martyr, mais vous ne le serez pas ! »

Arrivait maintenant le tout du pauvre M. Portalis. Quelle était sa faute ? Elle est vraiment difficile à deviner. Il semble qu’il en avait fait autant, un peu plus peut-être que ne l’exigeaient de lui ses devoirs de fonctionnaire ; mais l’empereur avait résolu de faire un solennel éclat propre à intimider désormais tout le monde. Il ne lui importait guère que sa colère fût juste ou injuste, qu’elle tombât sur un innocent ou sur un coupable. Cette colère elle-même était maintenant à peu près calmée. Napoléon était redevenu parfaitement maître de lui-même à la séance du conseil d’état dont il nous reste maintenant à rendre compte. La scène à laquelle il allait se livrer comme malgré lui était de sa part si bien préparée d’avance que, parmi les nombreux témoins auxquels nous l’avons maintes fois entendu raconter, il en est un, collègue de M. Portalis, qui, sans rien comprendre alors aux paroles du duc de Rovigo, se souvenait parfaitement d’avoir entendu ce ministre lui dire de se bien garder, s’il rencontrait le directeur de la librairie, de le détourner de se rendre à la séance. Pourquoi cette recommandation ? Le motif en apparut clairement lorsqu’une minute après l’empereur vint prendre place au fauteuil de la présidence. Nulle trace d’émotion ne se lisait sur son visage. Avec l’accent le plus calme, il commença par appeler quelques affaires courantes ; puis il se mit à demander à voix basse à ses voisins si M. Portalis était là. M. Portalis y était en effet et répondit à l’appel de son nom. Alors se levant avec impétuosité, et du ton de quelqu’un qui cède à un mouvement qu’il n’est pas libre de contenir, Napoléon apostropha le malheureux conseiller d’état en lui demandant de quel front il osait bien se présenter dans cette enceinte après la trahison dont il était coupable. « N’était-ce pas en effet la plus abominable des trahisons d’avoir favorisé une correspondance rebelle avec le pape, avec un souverain étranger ? Jamais plus indigne perfidie ne s’était vue, et dans le cours de sa vie il n’en avait éprouvé aucune dont il se sentit plus révolté, et cette perfidie partait d’une famille qu’il avait comblée de biens, elle lui venait d’un homme qu’il avait honoré de sa bienveillance particulière. Les paroles lui manquaient pour exprimer son indignation,