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paroisse, chacun apercevait toutefois l’autorité du chef de l’église romaine. Le tout-puissant vainqueur de Wagram ne s’y trompait pas. Il éprouvait la plus violente colère en sentant son prestige entamé par cet intrépide chanoine qui tenait son archevêque en échec jusque dans le chœur de Notre-Dame de Paris. Comment se venger, et quel moyen de briser cette résistance inattendue ? L’occasion s’en offrit bientôt.

L’abbé d’Astros avait, comme le vicaire Capitulaire de Florence, écrit au saint-père pour lui demander des directions personnelles, mais il n’avait pas encore reçu de réponse. C’est pourquoi, tout en maintenant ses relations avec le nouvel archevêque sur le pied que nous venons d’expliquer, il avait pris soin de garder la plus extrême réserve. Il ne rompit le silence que le jour où, par l’intermédiaire du cardinal di Pietro, de l’abbé Gregori et du père Fontana, il reçut copie du bref, en date du 5 novembre, adressé par le pape au cardinal Maury. Le premier mouvement de l’abbé d’Astros fut d’en parler à son cousin Portalis, le conseiller d’état et le directeur de la librairie. « C’était la veille de Noël, jour de réunion intime pour la famille Portalis. Avant dîner, l’abbé d’Astros pria son cousin de le conduire dans son cabinet pour écouter une communication qu’il avait à lui faire. Il invita en même temps un abbé Guairard, chef de division de la librairie, à les suivre. Arrivé dans le cabinet de M. Portalis, quand il fut assuré de ne pouvoir être entendu de personne, l’abbé d’Astros donna lecture à ses deux auditeurs du bref adressé au cardinal Maury. Ensuite il consulta son cousin sur les difficultés de sa situation, comprenant très bien qu’il ne pouvait faire aucun usage officiel d’une pièce qui lui était secrètement remise par des voies détournées. M. Portalis lui recommanda de la tenir très cachée, dans l’intérêt de la religion. Alors l’abbé Guairard, interpellant M. Portalis, lui demanda ce qu’il ferait si ce bref venait à être clandestinement imprimé. — Le directeur-général de la librairie, répondit M. Portalis, en prohiberait la circulation comme d’une pièce sans authenticité et dangereuse[1]. » De part et d’autre il ne fut point prononcé d’autres paroles. Certes c’étaient là de singuliers conspirateurs, ce prêtre qui allait prendre pour confident le conseiller d’état chargé de la surveillance des ouvrages à publier et ce fonctionnaire public qui n’hésitait pas à proclamer qu’il ferait en tout cas strictement son devoir. M. Portalis ne s’en tint pas là. Il jugea opportun d’aller prévenir le nouveau préfet de police, M. Pasquier. Il lui annonça que, si l’on n’y portait remède, un bref du pape à l’abbé Maury circulerait bientôt dans Paris. Il ajouta

  1. Vie de M. le cardinal d’Astros, par le R. P. Caussette, p. 197 et 198.