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communication directe de sa sainteté ; mais il sentait aussi (ce sont ses propres expressions) « que le moment n’était pas venu de toucher à de certains sujets. » Le pape, pendant tout le temps que dura l’entretien, ne prononça pas un seul mot relatif à son pouvoir temporel ni à la souveraineté de Rome, excepté indirectement et dans les termes suivans : « Quand des opinions sont fondées sur la voix de la conscience et le sentiment du devoir, elles deviennent irrévocables, et croyez bien qu’il n’y a pas de force physique au monde qui puisse à la longue lutter contre une force morale de cette nature. Ce que nous avons prononcé sur les tristes événemens survenus dans notre siège apostolique a été dicté par de tels sentimens, et ne peut conséquemment souffrir une seule variation toutes les fois que nous devrons nous en expliquer. » Par ces dernières paroles, le saint-père entendait-il maintenir l’excommunication qu’il avait naguère lancée contre l’empereur ? Nous ne saurions le dire ; M. de Lebzeltern n’exprime lui-même aucune opinion à ce sujet. Sa dépêche se termine par l’assurance « qu’il a trouvé le pape un peu vieilli, mais bien portant, calme, serein à son ordinaire, et n’ayant jamais mis la moindre aigreur dans ses propos, même lorsqu’il a abordé les sujets qui devaient lui être le plus sensibles… Pie VII se loue infiniment, ajoute-t-il, des procédés et des égards de M. le préfet et de M. le comte Berthier envers lui. Il a jusqu’ici refusé constamment de sortir de l’hôtel de l’évêché, qu’il habite, et borne ses promenades à sa chambre et à un petit jardin. L’affluence du monde que la dévotion amène journellement à ses pieds ne diminue pas. Le préfet et le général, de leur côté, sont très satisfaits de l’extrême circonspection du pape et de ses bontés à leur égard[1]. »

Ce rapport du diplomate autrichien, officiellement adressé à sa cour, mais rédigé en réalité pour l’information particulière du gouvernement français, apprenait à l’empereur Napoléon tout ce qu’il avait intérêt à savoir. Il en conclut avec raison qu’il serait prématuré de vouloir entrer dès lors en négociation réglée avec le saint-père. Cependant les dispositions de Pie VII étaient telles qu’on ne devait pas désespérer non plus de renouer doucement et indirectement avec lui, surtout si l’on parvenait à surexciter les inquiétudes et le trouble que lui causait l’état fâcheux où se trouvait l’église de France. A cet effet, Napoléon jugea opportun de faire partir secrètement pour Savone, sans mission avouée, avec des instructions toutes privées, deux membres considérables du clergé qui, sans être encore des agens officiels, seraient, en cas de besoin et par suite de leur caractère ecclésiastique, plus à même

  1. Dépêche du chevalier de Lebzeltern au comte de Metternich, 16 mai 1810.