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et de l’Ombrie par les troupes françaises, il s’était appliqué à observer à l’égard des deux adversaires une très prudente neutralité. La même réserve se retrouve dans ses lettres du printemps de 1810. On voit clairement que M. de Lebzeltern les a écrites dans les plus louables intentions du monde, et avec l’intime assurance qu’elles seraient mises sous les yeux du souverain français. qui avait tant d’intérêt à connaître à cette époque les véritables sentimens de Pie VIT. En réalité, les affaires de France tiennent plus de place que celles de l’Autriche dans la correspondance de l’envoyé de M. de Metternich. C’est pourquoi nous en donnerons quelques extraits qui nous semblent peindre au vif et de la façon la plus exacte l’état d’esprit où se trouvait le saint-père à Savone. Pie VII avait été tout d’abord très ému en voyant M. de Lebzeltern. Il témoigna un peu de surprise et beaucoup de joie de ce que l’empereur Napoléon avait permis cette entrevue. En écoutant le récit circonstancié du mariage qui venait d’avoir lieu à Paris, et qui offrait, au dire de l’envoyé autrichien, les plus sûres garanties d’une paix stable, le pape parut un moment oublier tous ses griefs, tous ses chagrins, et prendre une part réelle et sincère à cet événement. « Veuille le ciel, s’écria-t-il, que ce mariage imprévu consolide la paix continentale ! Nous désirons plus que personne que l’empereur Napoléon soit heureux ; c’est un prince qui réunit tant d’éminentes qualités ! Veuille le ciel qu’il reconnaisse ses vrais intérêts ! Il a dans les mains, s’il se rapproche de l’église, les moyens de faire tout le bien de la religion, d’attirer à soi et à sa race la bénédiction des peuples et de la postérité, et de laisser de toute façon le nom le plus glorieux[1]. » Bientôt quelques souvenirs amers et le sentiment de sa situation vinrent traverser ces élans de tendresse sortis du plus profond de rame de Pie VII.

En citant les paroles textuelles que le pape venait de prononcer en italien, mais qu’il traduit pour sa cour en français, M. de Lebzeltern ne peut s’empêcher de remarquer que, pendant un séjour de huit ans qu’il a fait à Rome, il a toujours entendu le souverain pontife témoigner ainsi personnellement la plus grande partialité en faveur de Napoléon. « Combien de preuves n’en ai-je pas eues, ajoute-t-il avec une nuance d’étonnement, et combien de fois, à une époque bien différente du moment actuel, n’ai-je pas constaté que cette partialité de Pie VII se manifestait bien plus sensiblement à l’égard de Napoléon que pour notre souverain ! IL a fallu toutes les amertumes dont il a été abreuvé pour l’obliger à adopter un système qui répugnait si évidemment à son cœur[2]. » A peine

  1. Lettre de M. le chevalier de Lebzeltern à M. le comte de Metternich, 16 mai 1810.
  2. Ibid.