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Le ton à la fois si énergique et si tranquille de ce document émané tout entier de la seule initiative du saint-père, auquel personne n’avait pu mettre la main, puisqu’il était à Savone privé de tous ses conseillers, ouvrit quelque peu les yeux à Napoléon. Pour la première fois il soupçonna que les mauvais traitemens, la captivité, l’isolement, ne lui feraient peut-être pas avoir aussi facilement raison qu’il l’avait d’abord espéré de ce pontife, qui, malgré sa douceur, avait de la fermeté, et joignait à beaucoup de prudence dans la conduite une connaissance approfondie des matières ecclésiastiques formant, l’objet des discussions pendantes. Ce fut à ce moment que, toujours décidé à laisser Pie VII à ses uniques et propres forces, sans cardinaux pour lui venir théologiquement en aide, sans ministre pour prendre ses ordres, sans conseillers d’aucune sorte, sans secrétaire, sans archives, sans livres même à consulter, et préoccupé de l’avantage qu’il trouverait pour son compte à se procurer quelques auxiliaires versés dans la science canonique, à s’entourer de lumières spéciales et de tous les genres de secours dont il entendait bien priver complètement son incommode contradicteur, Napoléon s’avisa enfin de réunir le concile de cardinaux et d’évêques dont nous avons parlé dans notre précédente étude[1]. Avant qu’il n’eût arrêté sa décision et pris l’avis d’ecclésiastiques compétens ses idées avaient été très vagues sur ce qu’il convenait de faire. Un instant, le croirait-on ? il songea à convoquer un concile œcuménique. Dans un rapport confidentiel fait à l’empereur par son ordre, M. Bigot, après avoir examiné tous les précédera historiques, en tirait les conclusions suivantes : « Il n’est personne qui puisse soutenir que la puissance spirituelle doive avoir pour support une puissance temporelle. Je propose donc à votre majesté : 1° d’annoncer aux autres souverains et princes ayant dans leurs états une partie de l’église catholique votre intention de convoquer un concile général, 2° de publier un décret qui en contiendra les motifs, 3° que votre majesté veuille bien faire elle-même l’ouverture et la clôture de cette assemblée en nommant des commissaires pour assister aux séances, 4° que le lieu de la convocation soit à Paris[2]. » Mais ce projet grandiose d’un concile œcuménique, à peine ébauché au ministère des cultes, fut abandonné sur les objections soulevées par les membres du comité ecclésiastique.. Ce fut alors qu’au sein de ce comité on proposa de recourir à un expédient qui, mis plus tard, en pratique, souleva les plus ardentes controverses, et devint l’occasion de beaucoup de troubles au sein de l’église de France. Le cardinal Maury se vanta plus d’une fois d’en avoir été le

  1. Lettre de M. Hugues Maret, duc de Bassano, à M. Bigot de Préameneu, Fontainebleau, 27 septembre 1809.
  2. Rapport de M. le comte Bigot de Préameneu à l’empereur, 22 novembre 1809.