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dire la messe que dans sa chapelle privée. C’est là qu’on le surprenait souvent en oraison, invoquant le Seigneur avec larmes, disent ses pieux biographes, non-seulement en faveur de l’église opprimée, mais aussi en faveur du prince qui, après l’avoir tant protégée, s’était fait tout à coup son plus ardent persécuteur. Pour unique distraction, le pape descendait parfois se promener dans un jardin clos de murs qui dépendait du palais épiscopal, et n’avait guère plus de cinquante pas d’étendue[1]. Avec un pontife à qui la patience était si facile, et dont les goûts étaient si solitaires, les invitations les plus gracieuses et les plus répétées du comte Berthier ne pouvaient que demeurer sans effet. Elles ne devaient pas beaucoup mieux réussir auprès des serviteurs du saint-père. Moins insensibles que lui aux distractions offertes par le général français, ils prirent cependant grand soin de ne les accepter que de loin en loin, et, par suite des ordres de leur maître, se maintinrent toujours à son égard sur le pied d’une extrême réserve.

Dans cette complète solitude faite autour de lui, et qu’il acceptait d’ailleurs si volontiers, Pie VII avait résolu de remplir autant que son état de séquestration le lui permettait les fonctions spirituelles inhérentes à son titre de chef de la catholicité. Son premier soin fut donc de répondre aux lettres dont nous avons parlé, qui lui avaient été adressées par les cardinaux Fesch, Caprara, Maury, et par plusieurs des évêques de France à l’occasion des bulles d’institution canonique. L’initiative de cette démarche ne venait, on s’en souvient, ni des cardinaux ni des évêques. C’était Napoléon qui, de Schœnbrunn, par sa lettre du 15 juillet, les avait invités à exposer comme d’eux-mêmes au saint-père la fâcheuse situation où se trouvait l’église de France par suite de son refus d’instituer les sujets honorés du choix de l’empereur. A peine avertis par M. Bigot, ils avaient mis le plus vif empressement à se conformer au désir du tout-puissant vainqueur de Wagram, et ce n’était pas leur faute si leurs missives, aussitôt écrites qu’elles avaient été commandées, n’étaient pas parvenues au saint-père avant son arrivée à Savone. Il y avait toutefois quelques différences dans la teneur de ces divers documens. La lettre du cardinal Fesch était remplie de témoignages de respect et d’une sympathie véritable pour les récens malheurs du saint-père. Celle du cardinal Maury contenait à cet égard d’évidentes et convenables allusions. Chose aussi triste que singulière, parmi ces dignitaires de l’église qui s’adressaient par ordre au chef de la catholicité, il y en eut qui n’osèrent pas laisser échapper de leurs lèvres un mot de pitié ou seulement de regret à l’occasion des dures épreuves supportées à cette heure solennelle

  1. Manuscrit italien du volet de chambre du pape. — British Muséum, n° 8,389.