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séquestration à Savone ne firent naître, dans le domaine religieux aucune question nouvelle. La querelle relative à la nomination aux évêchés vacans était déjà pendante entre les deux gouvernemens avant que le drapeau, aux trois couleurs n’eût remplacé au château Saint-Ange les enseignes pontificales ; la violente dépossession du saint-père et sa dure captivité n’eurent pour effet que de l’aggraver considérablement et de lui donner un caractère et une portée qui étaient loin d’être favorables à la cause du chef de l’empire.

Aussi longtemps que Pie VII était demeuré de sa personne à Rome, — fort gêné à coup sûr dans l’exercice de sa puissance temporelle, journellement menacé de se voir arracher les derniers lambeaux de son principat terrestre, mais traité encore, ostensiblement du moins, en souverain indépendant, — la controverse engagée au sujet de l’institution canonique des évêques n’avait pas trop différé de tant d’autres discussions pareilles qui, plus d’une fois au cours de notre histoire nationale, avaient momentanément brouillé le Vatican avec quelques-uns des prédécesseurs de Napoléon. Il s’en fallait de beaucoup que cette question des investitures épiscopales, déjà soulevée entre Louis XIV et Innocent XI, divisât pour la première fois Rome et la France ; ce qui était sans précédent, c’était la position respective des deux parties. Certes, à ne considérer que l’aspect extérieur des choses, il semblait à première vue que l’avantage fût tout entier du côté de l’empereur. Matériellement, Napoléon était sans contredit aussi fort et puissant à cette époque que Pie VII était faible et désarmé ; mais, gardons-nous de l’oublier, il ne s’agissait point d’une lutte matérielle. Au point de vue moral, à ne tenir compte que du bon droit et de la naturelle équité, quel saisissant contraste entre les deux adversaires ! Autant l’empereur s’était récemment fait de tort par la rudesse de ses dernières mesures, autant le pape s’était gagné les cœurs par sa résignation. Depuis qu’il était retenu captif à Savone, non-seulement les âmes pieuses, non-seulement les esprits élevés, mais les plus indifférens et les plus sceptiques avaient secrètement épousé la cause de Pie VII.

Il ne faut pas en effet hésiter à le reconnaître, le public n’est pas mauvais juge en ces matières. Quand le pouvoir civil et l’autorité spirituelle sont aux prises, l’opinion se tourne le plus souvent en France contre celui des deux adversaires qu’elle surprend à vouloir sortir de ses attributions, ou qu’elle soupçonne d’ambitionner un rôle qui ne lui revient pas naturellement. À ce point de vue, la cour de Rome avait de vieille date éveillé ide ce côté des Alpes, parmi les hommes de gouvernement et surtout au sein de la bourgeoisie française, d’ombrageuses susceptibilités dont des vieux parlemens s’étaient faits en plus d’une occasion les éloquens et populaires interprètes. Est-il besoin de dire que cette tradition des