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sérieux et voudra agir sur l’assemblée se servira évidemment de l’idiome qu’elle comprend. S’agit-il du procès-verbal, qu’on prenne un sténographe qui sache le roumain et le serbe, ou deux sténographes, et toute difficulté disparait. Dans les séances du congrès international des sciences sociales auxquelles j’ai assisté, j’ai entendu parler tour à tour français, italien, allemand, anglais, espagnol et hollandais. Ceux qui ne comprenaient pas étaient libres de ne pas écouter, et il n’y avait pas d’idiome officiel humiliant les autres de ses prérogatives légales. En Belgique, les députés flamands ont le droit de se servir au parlement de leur langue maternelle ; mais, comme ils ont l’avantage de parler deux langues qui leur ouvrent l’entrée, l’une du monde latin, l’autre du monde germanique, ils ont le bon goût d’employer celle que comprennent leurs collègues wallons. Proclamez la liberté, supprimez toute exclusion, et cette question, qui a fait couler des flots de sang, qui a failli causer la perte de la Hongrie, se réduira à une simple affaire de courtoisie qui, entre gens comme il faut et éclairés, sera bientôt réglée.

Dans l’arrangement qui va se conclure avec la Croatie ; les Hongrois ont sagement renoncé à cet esprit de prosélytisme hautain et tracassier qui les a perdus en 1848 ; mais ce n’est pas assez. Leur intérêt leur commande de favoriser par tous les moyens ce mouvement yougo-slave qu’ils ont tout fait jusqu’à présent pour étouffer. Ils doivent appuyer les demandes que les Croates adressent à Vienne afin d’obtenir la reconstitution territoriale du royaume tri-unitaire par l’annexion des confins militaires et de la Dalmatie. Ils doivent contribuer à la fondation à Agram d’une université slave, qui puisse devenir le foyer du progrès littéraire et scientifique de ces contrées, et qui étendra son influence jusqu’au-delà de la Save. Il faut aussi qu’ils soutiennent les clergés catholique et grec dans leurs efforts pour acquérir plus d’instruction et plus d’indépendance. C’est en agissant ainsi qu’ils se fortifieront, qu’ils grandiront, qu’ils rendront à leur patrie ses anciennes limites, et qu’ils deviendront véritablement les représentans de la civilisation en Orient.

Plusieurs Hongrois influens et éclairés des deux partis m’ont répondu : « Nous ne désirons aucune extension territoriale, nous avons assez de terres et trop de Slaves. » Je comprends ce langage : la conquête en effet est une idée barbare. Les despotes ont intérêt à s’annexer des provinces nouvelles, parce qu’elles fournissent des soldats à leurs années et des revenus à leur trésor ; mais les nations libres, dès qu’elles ont de bons traités de commerce, n’ont plus rien à gagner à l’agrandissement de leur territoire ; les plus petites