Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Autrichiens, ils ont été entraînés à proscrire leur langue, sauf à la remplacer par le français autrefois, par l’anglais maintenant, depuis que c’est à l’Angleterre qu’il faut demander des exemples de liberté politique. Aujourd’hui que les Hongrois n’ont plus a combattre l’Autriche pour conserver leur indépendance, ils devraient revenir à l’allemand, et l’enseigner même dans toutes les écoles populaires, comme on apprend le français en Hollande et en Allemagne, sans croire qu’on porte atteinte à la nationalité. Presque tous les Hongrois parlent déjà l’allemand. C’est par cette langue qu’ils peuvent entretenir des relations avec le reste de l’empire, avec les autres nationalités, avec la science européenne ; il est donc indispensable d’en répandre autant que possible la connaissance approfondie.

Dans son beau livre sur la question des nationalités, le ministre actuel de l’instruction publique, M. Eötvös, a bien indiqué, nous semble-t-il, comment il fallait la résoudre dans les limites mêmes de la Hongrie. Il n’admet pas qu’il faille diviser le pays en cantons dévolus à telle ou telle race et dont la langue officielle serait fixée par le parlement. Celui-ci, dit-il avec raison, se rendrait odieux à tous ceux qui se prétendraient sacrifiés. La mesure serait presque inexécutable partout où des populations d’origine différente vivent entremêlées. Mieux vaut abandonner ce point aux décisions des administrations locales. Les comitats, les communes, les différens cultes, choisiront la langue qu’ils voudront. Droit égal pour tous, voilà le principe qu’il faut consacrer, et dans un pays aussi décentralisé que la Hongrie il est facile de l’appliquer. La question des idiomes aurait pu se soulever aussi en Suisse et en Belgique, car en Suisse trois langues sont en usage, le français, l’allemand et l’italien, et deux en Belgique, le français et le flamand ou néerlandais. Jusqu’à présent il ne s’est présenté aucun conflit sérieux, précisément parce que la loi laisse chacun libre de faire usage de la langue qu’il préfère. Si l’une ou l’autre avait été rendue obligatoire, si surtout les pouvoirs publics s’étaient efforcés de faire prévaloir l’une d’elles considérée comme officielle, les mêmes antagonismes, les mêmes hostilités qu’en Hongrie n’auraient pas manqué de se produire. A la diète de Pesth, la seule langue dont la loi autorise l’emploi est le hongrois. Cette prescription est impolitique, et, quoi qu’en disent les Magyars, point du tout nécessaire. Proclamez la liberté des idiomes, quel inconvénient en résultera-t-il ? Un orateur emploiera l’allemand détesté : soit ; mais, tout le monde le comprenant fort bien, la discussion n’en souffrira pas. Quelques-uns s’exprimeront peut-être en serbe ou en roumain, afin de porter leur dialecte national à la tribune ; mais quiconque aura un but