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veut être incorporé à la Hongrie, d’abord parce que les Italiens ou plutôt les italianisés craignent la propagande ultra-slaviste, ensuite parce que la Hongrie est assez puissante pour réunir à son réseau ferré et aux provinces productrices du blé par un chemin de fer direct ce port, maintenant délaissé. Faudra-t-il donc enlever aux Croates un district complètement enclavé dans leur territoire pour le réunir à la Hongrie, dont il est séparé par toute l’épaisseur de la Croatie ?

Jadis le petit canton de Fiume et de Buccari formait, sous le nom de littus hungaricum, une annexe de la couronne de saint Etienne, qui était rattachée directement à la Hongrie ; mais après la défaite des Hongrois en 1849 le gouvernement autrichien, pour récompenser le dévouement des Croates, leur avait accordé le littoral. À ce moment ceux-ci craignaient qu’il ne leur fût enlevé, et les habitans de Fiume au contraire manifestaient par toute sorte de démonstrations leur volonté d’être réunis à la Hongrie. Pour faire comprendre à quel degré la discorde sévissait jusqu’au sein d’une même cité, je citerai un incident qui l’année dernière passionnait tout le pays. Les étudians du gymnase ayant chanté des airs patriotiques croates, l’établissement fut envahi et saccagé par la foule furieuse. Le vice-gespann (sous-préfet) Voncina fit arrêter les fauteurs du désordre. Un commissaire royal nommé directement par la chancellerie intervint, et donna l’ordre de cesser toute poursuite. De là une irritation extrême dans tout le camp croate. Pour la contenir, on crut devoir remplacer le ban Socsevitch, considéré comme trop national, par le général saxon Gablenz. La publication du journal ultra-croate le Pozor fut suspendue, les fonctionnaires trop hostiles aux Hongrois révoqués ou remplacés. Je causai alors avec plusieurs des pèlerins revenus récemment du fameux congrès ethnographique de Moscou, Ils étaient, cela se conçoit, indignés de ce qu’ils appelaient d’odieuses persécutions. « Les Magyars, disaient-ils, n’ont qu’un but : nous enlever notre nationalité, notre langue, notre autonomie. Leur nombre diminue : ils ont peu d’enfans, et ils veulent combler les vides qui se font dans leurs rangs en magyarisant les autres races. Pour y parvenir, ils ne reculeront devant aucun moyen : ils commenceront par la douceur ; mais, si nous résistons, ils auront recours à la violence. Vous connaissez leurs