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l’unité du royaume triunitaire. L’île de Mur, habitée exclusivement par des Slaves, le territoire des régimens-frontières croates et slavons, le district littoral de Fiume et de Buccari, seront incorporés définitivement au royaume triple et un, dont ils ont originairement fait partie. Ce royaume pourra s’adjoindre par un lien fédéral la voïvodie serbe, et entretenir des relations officielles avec les districts slaves de la Carinthie, de la Carniole et de l’Istrie. Si les parties de l’ancienne Croatie qui sont actuellement soumises à la Turquie faisaient retour à la couronne de saint Etienne, elles seraient aussi annexées au royaume triple et un.

La nature du lien qui réunit ce royaume à la Hongrie est un sujet extrêmement délicat, sur lequel Croates et Magyars épuisent toutes les recherches de l’érudition et toutes les subtilités de l’interprétation juridique. Les Hongrois prétendent que la Croatie fait partie intégrante du royaume de saint Etienne. Les Croates soutiennent que leur pays est un territoire indépendant, réuni à la Hongrie par un lien fédéral. L’historien Horváth ayant dit que la Croatie était une province acquise par droit de conquête, ce mot suffit pour irriter tous les Slaves du sud et provoquer une foule de réponses indignées. Voici ce qui me paraît résulter de ces débats. La Croatie n’a pas été conquise par la force des armes. En 1102, Koloman, roi de Hongrie, voulant étendre ses frontières jusqu’à l’Adriatique, entra en Croatie avec une forte armée. Les Croates, au lieu de se défendre, envoyèrent au roi une députation de douze chefs choisis dans leurs douze tribus, et un traité fut conclu qui, tout en reconnaissant la suzeraineté de Koloman, assurait au pays une complète indépendance pour l’administration de ses propres intérêts. Le lien entre les deux pays était d’abord fort lâche ; mais par suite des progrès de la centralisation, qui eurent lieu ici comme partout en Europe, il se resserra sans cesse. Plusieurs rois de Hongrie se firent couronner à Agram ; la Croatie avait une monnaie à elle, les marturinas, et des lois spéciales inscrites comme telles dans le corpus juris, son ban était investi d’une autorité indépendante et presque souveraine ; la pragmatique sanction fut acceptée par la diète croate trois ans avant que celle de Hongrie ne l’eût ratifiée. À partir du XVe siècle, des députés croates vont, il est vrai, siéger à la diète hongroise ; mais les lois votées à Presbourg doivent être ratifiées par la diète d’Agram. Ce n’est qu’en 1790 et 1791 que des lois portent qu’à l’avenir les levées d’hommes et les contributions pour la Croatie seront décidées au sein de la diète hongroise, tout en formant néanmoins un chapitre spécial. Ces impôts devaient être perçus par des agens croates. La Croatie n’envoyait à la diète hongroise, dans la chambre basse, que deux