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et les Tchèques des Slovènes et des Croates, rompant ainsi la continuité du territoire slave. Les Magyars de leur côté ne demanderaient pas mieux que de se voir serrés d’un peu moins près par les deux branches de cette famille trop nombreuse ; mais les événemens en ont décidé autrement. C’est à la sagesse des hommes de tirer parti des situations créées par l’histoire.

Maintenant que nous connaissons la force relative des principales nationalités de l’Autriche et les positions qu’elles occupent, abordons l’examen des différends qui les divisent, et voyons d’abord la question croate.


II

Le mouvement national des Slaves du sud est né d’une réaction contre le mouvement national des Magyars, de même que celui-ci est né de la réaction contre les tentatives de germanisation des Habsbourg. Porter atteinte à la langue d’un peuple, c’est l’offenser dans ce qu’il a de plus sensible. Il souffrira qu’on le décime à la guerre, non qu’on le dénationalise. Qu’un conquérant le conduise à la boucherie. il lui pardonne. Qu’un souverain, pour l’élever à une culture plus haute, lui en impose l’idiome, il se soulève en fureur et le renverse. Le mouvement linguistique magyar ne date que du siècle dernier. Afin de mettre plus d’unité dans l’administration de son empire polyglotte, l’empereur Joseph II s’efforça, au moyen des écoles, de faire apprendre l’allemand à tous ses peuples. Les Hongrois, prêts à la révolte, se mirent, comme manifestation anti-allemande, à cultiver leur langue, jusque-là très négligée, attendu que toutes les affaires publiques se traitaient en latin et que les gens aisés ne lisaient guère que l’allemand et le français. Tout mouvement national est accompagné d’un réveil littéraire, d’abord parce que c’est ainsi qu’une race s’affirme en face de l’étranger, et ensuite parce que c’est par des écrits et des poésies qu’on répand une idée nouvelle. A la fin du XVIIIe siècle, toute une pléiade d’écrivains et de poètes surgit en Hongrie. Nicolas Révai publie des travaux important sur la grammaire et les antiquités hongroises ; Csokonay compose les premières poésies populaires en dehors de toute imitation classique ; François Kazinczy fonde en 1791 le premier théâtre hongrois, traduit en sa langue maternelle les principaux chefs-d’œuvre des langues étrangères, et mérite que son anniversaire, célébré en 1855, devienne une fête nationale. Plus tard Alexandre Kisfaludy, le Pétrarque hongrois, — Michel Vörösmarty, l’orgueil de sa patrie, le poète de ses gloires antiques, dont le peuple, sur la proposition de Deák, a adopté la veuve, — Erdélyi,