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des réminiscences de tous les régimes qui se sont succédé en France. Les commentateurs ont quelque peine à exposer avec méthode une science trop riche en documens de toute origine. C’est un des sérieux mérites de M. Batbie d’avoir, grâce à une judicieuse division des matières, présenté avec plus d’ordre et de clarté que ses devanciers n’avaient réussi à le faire les règles de cette législation embrouillée. L’amour de la régularité, qui distingue à un si haut point l’administration française, devrait bien la pousser à coordonner dans un code définitif et commode la collection variée des attributions qui lui incombent. Cette révision fournirait une précieuse occasion d’obvier aux inconvéniens d’une tradition administrative qui remonte loin et qui est restée vivace chez nous.

Cette tradition consiste à tenir en suspicion légitime tout ce qui n’émane pas de l’administration centrale ou de ses délégués, veillant de haut aux intérêts individuels, suppléant aux défaillances et corrigeant les écarts des volontés isolées. C’est la doctrine qu’appliquait Colbert, lorsqu’il essayait de fonder l’industrie nationale à coups d’ordonnances. Malgré les progrès de l’économie politique et les conquêtes de la liberté, cette école administrative est encore florissante, sinon dans les ouvrages de théorie, où personne n’ose plus la défendre, au moins dans la pratique, où elle a pour complices les habitudes de routine qu’elle ne pouvait manquer de faire naître. Sans trop chercher, on trouverait parmi nos administrateurs un certain nombre de petits Colberts formant comme la monnaie du grand et frappés au même coin que lui. Afin de caractériser l’effet de ces sollicitudes maladroites dont la production d’un pays est trop souvent l’objet, M. Batbie emprunte à Bacon une expression d’une concision énergique, il les nomme la pars destruens de l’état. Il en est de l’ancienne administration comme de l’ancienne médecine: toutes deux ont commencé par torturer sous prétexte de guérir.

Heureusement la médecine est revenue de ses erremens de l’avant-dernier siècle, et l’administration commence à faire de même. Des doctrines plus libérales sont mises en avant par les juristes au nom du droit et recommandées par les économistes au nom de la prospérité matérielle, M. Batbie, qui les a toujours défendues comme économiste et comme légiste, y reste fidèle dans ce dernier et important ouvrage. Sans doute il a évité avec soin toute discussion de nature à enlever à son travail le caractère scientifique qu’il entendait lui donner. Son but immédiat était non pas de battre en brèche notre droit administratif, mais de l’apprendre à ceux qui l’ignorent et d’en faciliter l’application à ceux qui ont à le manier. C’est déjà une tâche utile, et son traité contribuera efficacement à propager des opinions saines sur un sujet qui touche de près aux intérêts de chacun de nous,


ALFRED EBELOT.


L. BULOZ.