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principal obstacle au rétablissement d’un véritable équilibre. Comment sortir de là ? Est-ce par un désarmement ? Ce serait certainement un moyen expéditif, s’il ne fallait que cela pour rétablir la paix dans les esprits et dans toutes les situations, pour ranimer la confiance. M. Jules Favre après M. Émile Ollivier a plaidé cette cause avec un singulier talent. Il y aurait pourtant, ce nous semble, une grande illusion à faire du désarmement une panacée universelle dans l’état actuel de l’Europe, et le remède le plus vrai, le plus efficace, serait avant tout dans une politique courageuse avouant virilement ses « fautes » et ses « malheurs, » — puisque ces mots ont été employés par un membre de la majorité, — associant le pays lui-même à une délibération directe, souveraine, décisive, sur toutes les grandes questions d’où dépendent ses destinées.

Notre temps a cela de caractéristique qu’il n’y a plus vraiment de petites questions. Nous vivons au milieu des grands problèmes, qui apparaissent sous toutes les formes et quelquefois à travers les incidens les plus ordinaires, problèmes économiques ou financiers, problèmes sociaux, problèmes politiques, et les questions religieuses elles-mêmes tendent de plus en plus à jouer un rôle dans ce vaste et confus mouvement dont nos d’bats sont l’expression. On ne peut plus les éluder, ces terribles questions, elles s’imposent toutes seules, non plus comme une grande préoccupation idéale ou comme un sujet de controverse abstraite, mais comme une affaire urgente, pratique, d’aujourd’hui et de demain. Il s’agit de savoir dans quelles relations vont vivre l’église et la société civile, et ce n’est pas dans un médiocre concile comme notre sénat, à propos du matérialisme, que ces tout-puissans problèmes vont être débattus ; ils vont bel et bien s’agiter dans un vrai concile, un concile œcuménique convoqué par le pape Pie IX à Rome pour la fin de l’année 1869. Ils sont toujours étonnans par leur sérénité, ces augustes vieillards du Vatican. On voit bien qu’ils sont éternels, ils disposent du temps sans façon, sans se hâter, et ils fixent un concile à la fin de 1869, sans se demander où en sera l’Europe, où ils en seront eux-mêmes dans un an et demi. D’ici là que de choses peuvent se passer ! Ce n’est pas moins un événement d’un ordre supérieur et qui peut avoir des conséquences singulièrement graves dans l’état moral du monde. Pour la première fois depuis le concile de Trente, l’église catholique vase montrer dans la majesté de ses réunions universelles, pour la première fois depuis trois cents ans, elle va faire l’essai de sa puissance collective, et c’est une ressemblance de plus de notre temps avec le xvie siècle. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que dans la convocation de ce concile de Rome, destiné à renouer les traditions du concile de Trente, le pape Pie IX commence par une surprenante nouveauté. Il pose la question de telle sorte que par la déduction la plus simple on arriverait tout droit à la solution du plus grand des problèmes contemporains, la séparation de l’église et de l’état.