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on l’aurait dit du moins, à reconnaître la justesse de bien des critiques dirigées contre un ensemble de choses dont il n’est pas responsable, et M. Rouher lui-même a un esprit trop libre, trop pénétrant, pour ne pas s’avouer les vices d’une situation dont il porte allègrement le fardeau, et pour l’honneur de laquelle il faisait l’autre jour encore une vigoureuse sortie. En réalité, nous payons aujourd’hui les frais d’un système dont l’impuissance a éclaté sous bien des formes, mais particulièrement en 1866, et nous voudrions par un détail montrer ce système à l’œuvre.

Il a été dit dans cette discussion du corps législatif un mot surprenant. La légitimité de l’emprunt a été expliquée tout naturellement par la nécessité de pourvoir à la défense du pays. Nos armemens, on l’a dit comme une chose simple et incontestable, sont une dépense extraordinaire et exceptionnelle autant qu’imprévue. Quoi donc ! la défense du pays n’est-elle pas la dépense la plus normale, la plus ordinaire ? À quoi sert alors l’immense budget voté tous les ans ? Si on a cru devoir aviser en toute hâte au moyen d’un crédit de 158 millions qu’il faut aujourd’hui couvrir par l’emprunt, c’est donc qu’on n’était pas prêt en 1866, c’est donc qu’on a été surpris et qu’on s’est trouvé dans cette situation si justement caractérisée par M. Rouher quand il s’est écrié : « Une grande nation ne peut pas s’excuser à un moment donné sur ses négligences ou sur son impuissance !… » Eh bien ! oui, c’est là la vérité ; on n’était pas prêt, c’est la cause de tout ce qui est survenu, et on n’était pas prêt parce que toutes les forces financières de la France, — nous parlons des forces financières consacrées à la défense du pays, — étaient tournées vers le Mexique. Sans le Mexique, nos arsenaux n’auraient pas été vides, notre effectif n’aurait pas été appauvri de façon à rendre peut-être impossible le rassemblement d’une armée à l’heure où c’eût été le plus nécessaire. Et c’est ainsi que l’erreur de cette irritante expédition a pu à un certain moment énerver notre politique en laissant des traces jusque dans nos finances, réduites aujourd’hui à réparer le mal. Qu’il ait fallu y pourvoir, soit ; mais voilà ce qui arrive. On n’est pas quitte si promptement des conséquences d’une erreur de conduite.

Le pays sans nul doute a vivement ressenti les événemens de 1866 ; au premier instant il eût probablement tout approuvé, et sous cette impression le gouvernement a pu s’engager dans cette voie de réorganisation militaire où il est encore. Il s’est trouvé là un homme, nous n’hésitons pas à le dire, et M. Thiers lui a rendu cet hommage, qui a mis au service d’un grand zèle patriotique une vigoureuse activité. Le maréchal Niel a reconstitué la France militaire. Seulement, tandis que le gouvernement s’avançait dans cette voie coûteuse, le pays a fini par se refroidir, et, dans cet armement qu’on lui représente sans cesse comme une garantie de paix, il ne voit plus que l’immense charge financière qui en résulte, qui retombe de tout son poids sur nos budgets, et qui est le