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que surplombent et que supportent follement des calcaires en ruine, ici la France finit splendidement par une muraille à pic ou à ressauts vertigineux qui s’écroule par endroits dans la Méditerranée. On côtoie les dernières assises de cette crête altière, et pendant des heures l’œil plonge dans les abîmes. Ici la lumière enivre, car tout est lumière; l’immense étendue de mer que l’on domine vous renvoie l’éblouissement d’une clarté immense, et son reflet sur les rochers, les îlots et les promontoires qu’elle baigne produit des tons qui deviennent froids et glauques en plein soleil, comme les objets que frappe la lumière électrique. A la distance énorme qui vous élève au-dessus du rivage, vous percevez le moindre détail ainsi éclairé avec une netteté invraisemblable. C’est bien réellement une féerie que le panorama de la Corniche. Les rudes décombres de la montagne y contrastent à chaque instant avec la vigoureuse végétation de ses pentes et la fraîcheur luxuriante de ses fissures arrosées de fines cascades. L’eau courante manque toujours un peu dans ces pays de la soif; mais il y a tant d’oranges et de citrons sur les terrasses de l’abîme que l’on oublie l’aspect aride des sommets, et qu’on se plaît au désordre hardi des éboulemens. Les sinuosités de la côte offrent à chaque pas un décor magique. Les ruines d’Eza, plantées sur un cône de rochers, avec un pittoresque village en pain de sucre, arrêtent forcément le regard. C’est le plus beau point de vue de la route, le plus complet, le mieux composé. On a pour premiers plans la formidable brèche de montagne qui s’ouvre à point pour laisser apparaître la forteresse sarrasine au fond d’un abîme dominant un autre abîme. Au-dessus de cette perspective gigantesque, où la grâce et l’âpreté se disputent sans se vaincre, s’élève à l’horizon maritime un spectre colossal. Au premier aspect, c’est un amas de nuages blancs dormant sur la Méditerranée; mais ces nuages ont des formes trop solides, des arêtes trop vives : c’est une terre, c’est la Corse avec son monumental bloc de montagnes neigeuses, dont trente lieues vous séparent; plus loin, vous découvrez d’autres cimes, d’autres neiges séparées par une autre distance inappréciable. Est-ce la Sardaigne, est-ce l’Apennin? Je ne m’oriente plus.

Il faisait un temps magnifique. Le ciel et la mer étaient si limpides qu’on distinguait les navires à un éloignement inoui, et les détails du Monte-Grosso à l’œil nu; mais passer, car il faut bien passer là sans y planter sa tente, rend tout à coup mortellement triste.

La riante presqu’île de Monaco vous apparaît bientôt. On se demande par quel problème on y descendra des hauteurs de la Turbie. C’est bien simple : on tourne pendant une grande heure le