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le romancier habile une bonne mine pleine d’échantillons à collectionner; mais, outre que je n’ai aucune habileté, je ne suis pas venu céans pour étudier les mœurs qu’on raconte et observer les physionomies qui passent. Ici comme ailleurs, je ne prendrai que des notes, et j’attendrai que je sois saisi n’importe où, n’importe par quoi ou par qui. Je ne suis pas de ceux qui savent ce qu’ils veulent faire. Je subis l’action de mes milieux. Je ne pourrais la provoquer; d’ailleurs je suis en vacances.

Je n’espère pas non plus faire beaucoup de botanique. La saison est trop peu avancée, et cette année-ci particulièrement la floraison est très en retard. Il paraît qu’il n’a pas plu depuis deux ans. Maurice ne compte pas non plus sur des trouvailles entomologiques à te communiquer. Notre but est une affaire de cœur, une visite à de chères personnes qui m’ont attendu tout l’hiver. La beauté et le charme du pays seront par-dessus le marché.

Dès le lendemain pourtant nous voici en campagne. Les amis veulent nous faire les honneurs de l’Estérel, et nous remplissons de notre bande joyeuse et de nos provisions de bouche un omnibus énorme traîné par trois vigoureux chevaux. La locomotion est admirablement organisée ici. On pénètre dans la montagne, on trotte à fond de train sur les corniches vertigineuses; nous n’avons pas fait autre métier pendant un mois, et nous n’avons pas vu l’ombre d’un accident. Cochers et chevaux sont irréprochables.

A l’entrée de la gorge de Mandelieu, on laisse la voiture, on porte les paniers, on s’engouffre dans une étroite fente de rochers en remontant le cours d’un petit torrent presque à sec, et on s’arrête pour déjeuner à l’endroit où une cascatelle remplit à petit bruit un petit réservoir naturel. Ce n’est pas un des plus beaux coins de l’Estérel. Le porphyre n’y est pas bien déterminé, on est encore trop à la lisière; mais, comme salle à manger, la place est charmante, et il y fait une réjouissante chaleur. Les murailles déjetées qui vous pressent ont une grâce sauvage. Il y a tant de lentisques, de myrtes, d’arbousiers et de phyllirées qu’on se croirait dans de la vraie verdure. Pour moi, ces feuillages cassans et persistans ont toujours quelque chose d’artificiel et de théâtral. Ils seront beaux quand les chèvrefeuilles et les clématites qui les enlacent mêleront leurs souplesses et leurs fraîcheurs à cette rigidité. Après le déjeuner, on reprend le vaste et solide omnibus, qui grimpe résolument vers le point central de l’Estérel.

Le massif intérieur, fermé transversalement par une muraille rectiligne d’une grande apparence, offre progressivement, des extrémités au cœur, un porphyre rouge mieux déterminé et d’un plus beau ton, A toutes les heures du jour, ces chaudes parois semblent