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général montré judicieux et, ce qui est plus rare, discipliné. S’il discute, il se rend, et, quand il a promis, il tient. D’habitude il ne s’engage pas et se réserve le dernier mot; mais, quand le moment est venu, il prend le bon parti, presque toujours celui qui a le plus de chances. Ainsi, pour le petit nombre de sièges sur lesquels l’opposition pouvait compter, il avait été convenu aux élections dernières qu’on choisirait surtout des orateurs. L’ouvrier n’a nulle part fait d’objection, mis d’obstacle à cette tactique; il a mieux aimé voir la tribune bien remplie que ses opinions complètement représentées. D’autres lois il a su résister aux siens. Un instant il avait été résolu, comme effet de scandale, de porter à la députation les noms les plus engagés contre le gouvernement impérial : beaucoup d’ouvriers furent sondés; ils n’y prêtèrent pas les mains. On pourrait citer d’autres faits à l’appui de cet esprit de conduite; ceci suffit pour prouver que l’ouvrier s’est réellement amendé; il n’est plus pour les choix qui effraient, et à ses autres qualités il sait joindre une certaine consistance.

Les événemens n’ont pas peu contribué à lui donner le goût de son nouveau rôle: en réalité on lui devait le premier noyau d’une opposition politique, sans lui cette opposition eût pu couver longtemps encore; il le sentait, il le voyait. L’œuvre lui faisait donc honneur, et naturellement il s’y était attaché. Aussi le vit-on aux élections qui suivirent s’affermir dans les dispositions qui lui avaient valu un premier succès et s’arranger pour en obtenir un second supérieur en éclat. C’est plaisir de vaincre, l’entrain s’en mêle, il y eut cette fois un véritable élan. Toute la députation de la Seine, la majorité dans les députations de Marseille et de Lyon, appartinrent à l’opposition. On imagina alors ces alliances de partis qui troublent le sommeil des hommes politiques qu’une longue possession a rendus intolérans. Ces alliances se firent d’instinct, presque sans entente préalable, et à coup sûr sans conditions. Avec la dose de liberté dont on disposait, il fallait presque saisir les intentions au vol pour y conformer les actes. Le scrutin prouva qu’on s’était compris, c’est le propre des régimes de contrainte d’exercer l’intelligence de ceux qui y sont soumis. Chez les ouvriers, ce mélange de bannières n’alla pourtant pas de soi : en province surtout les incompatibilités sont opiniâtres; un contact de tous les jours les réveille et les attise, on ne les conjure qu’avec un certain effort. Cet effort eut lieu là où il y eut convenance à le tenter, et réussit dans presque tous les cas. Les ouvriers se sentaient en veine; à aucun prix ils n’auraient voulu faire tourner la chance par des maladresses.

En sera-t-il toujours de même? On n’oserait en jurer; en politique surtout, les volontés sont bien fragiles. La sagesse actuelle