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tannique se vit conduit à opter entre trois directions principales, La première route était celle que M. Rassam avait parcourue en se rendant de Massaoua à Debra-Tabor, par le pays de Bogos et Metemmah; elle était tout entière sur le territoire égyptien. Une autre avait pour point de départ le port de Tadjourah, situé sur la côte de l’Océan-Indien, en face d’Aden. De Tadjourah à Magdala, on marche droit de l’est à l’ouest à travers le désert des Adels. Enfin on pouvait encore débarquer à Massaoua ou sur un point voisin du littoral, s’élever tout de suite sur le plateau par des sentiers peu connus, et arriver dans le Begamider en traversant le Tigré, le Waag et le Lasta du nord au sud. Il y avait à tenir compte de graves considérations politiques. L’Angleterre était résolue à dégager cette guerre de toute complication étrangère à ce qui en était l’objet principal, la délivrance des captifs européens. On l’a vu plus haut, il existe de temps immémorial un antagonisme de race et de religion entre les Abyssins chrétiens et les Turcs musulmans. Le sultan se prétend suzerain de l’Abyssinie entière, et le gouverneur-général de l’Yémen exerce une autorité purement nominale, il faut en convenir, sur l’Ethiopie. C’est au point qu’à Zeilah, près du golfe de Tadjourah, dans la mer des Indes, il y a un commandant turc. Rien ne choque plus les habitans de l’Abyssinie que cette prétendue suprématie de la Turquie; néanmoins, tant qu’il n’était question que de la souveraineté lointaine et précaire de la Porte-Ottomane, ils ne s’en inquiétaient pas beaucoup. Au contraire ils étaient menacés sur toute leur frontière du nord par les Égyptiens, qu’ils haïssaient encore plus, parce qu’ils étaient avec eux en état permanent d’hostilité, et qu’ils avaient appris à les redouter comme d’impitoyables marchands d’esclaves. Or il advint en 1866 qu’à l’instigation de sir Henry Bulwer, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, la Porte concéda au vice-roi d’Egypte tout le littoral africain de la Mer-Rouge. Cette cession[1] donnait le port de Massaoua aux Égyptiens; ils s’empressèrent d’y mettre une garnison bien plus considérable qu’il n’était nécessaire pour garder une position que personne ne songeait à attaquer. Ainsi toute lutte dans laquelle les Égyptiens seraient partie devait être pour les Abyssins une affaire nationale. Avec ces dangereux alliés, ce n’est pas seulement Théodore que l’on rencontrerait devant soi, ce seraient en-

  1. On a voulu voir dans cette cession provoquée par l’ambassadeur anglais un acte de défiance contre la France, qui avait négocié avec les rebelles du Tigré en 1859 l’acquisition d’Adulis, et qui venait en 1860 de planter son drapeau dans la baie déserte d’Obokli, à peu de distance de Tadjourah. Les Anglais se seraient dit que le gouvernement actif et ambitieux du vice-roi saurait mieux garder cette côte contre des entreprises étrangères que le sultan de Constantinople.