Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empire, n’avait même plus le prestige d’une grande puissance ? Le colonel Merewether, qui jusqu’alors avait été si prudent, n’en fut plus d’avis. M. Rassam lui-même, qui du fond de sa prison trouvait moyen de correspondre, déclarait sans hésitation qu’il ne servirait à rien de faire entrer en Abyssinie les ouvriers qui étaient arrivés d’Angleterre, et qui attendaient à Massaoua le moment propice pour se rendre auprès de Théodore. L’opinion de tous les captifs était qu’il n’y avait plus d’autre remède que la guerre. Il est vrai que le commencement des hostilités pouvait être le signal du massacre des Européens. Une dépêche du colonel Merewether à lord Stanley, en date du 4 mars 1867, résume parfaitement la situation.


« L’empereur n’élargira pas Rassam et ses compagnons à moins d’y être contraint. Telle est l’opinion des captifs eux-mêmes et de tous ceux qui connaissent Théodore. Il veut avoir un plus grand nombre d’Européens en son pouvoir afin de peser davantage sur le gouvernement anglais et d’en obtenir tout ce qu’il lui plaira de demander. S’il en avait l’occasion, il mettrait en prison une ambassade de première classe sans le moindre scrupule. La vérité est qu’il est dans une situation désespérée ; ses ennemis le circonviennent, son pouvoir décroît chaque jour, et sa santé est détruite par une maladie syphilitique invétérée. Politiquement et physiquement, il ne peut durer longtemps ; si la saison était favorable, ce serait le moment d’exécuter une attaque prompte et vigoureuse. Tout est en notre faveur ; le pays est fatigué de ce tyran capricieux. Si le peuple était dégoûté de lui depuis quelque temps, il l’est dix fois plus encore depuis l’incendie des églises de Gondar. Cet acte a porté atteinte au respect superstitieux qu’il inspirait jadis. En proclamant que nous ne venons que pour punir ce tyran, pour le détrôner, pour mettre en liberté les sujets britanniques qu’il garde en captivité, et que nous nous retirerons dès que ce devoir sera accompli, en laissant la contrée s’organiser comme il lui conviendra, nous pouvons être certains que tout individu sera prêt, corps et âme, à nous assister, La saison étant trop avancée, il n’y a pas autre chose à faire que d’attendre les événemens et de se mettre en mesure d’agir. M. Massajah, vicaire apostolique des Gallas, vieillard très intelligent qui a vécu vingt-cinq ans en Abyssinie ou dans les contrées limitrophes et qui connaît bien Théodore, m’a déclaré qu’il était convaincu que ce monarque garderait les captifs avec soin jusqu’au bout comme sa dernière ressource. Je lui ai demandé si Théodore ne les ferait pas massacrer ou ne les massacrerait pas de sa propre main lorsqu’il se verra bloqué dans Magdala. Il m’a répondu qu’il ne le pensait pas, que, si Théodore en donnait l’ordre, il ne serait pas obéi, et que, s’il essayait de le faire lui-même, il serait tué auparavant. Nous avons beaucoup d’amis dans Magdala, a-t-il ajouté. »