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qu’ils avaient eu tort et d’implorer la clémence du roi, il y eut une sorte de réconciliation. Les prisonniers se jetèrent tous à genoux en demandant pardon; Théodore leur pardonna, et se mit à genoux à son tour pour s’excuser des mauvais traitemens qu’ils avaient subis.

A partir de ce moment, les officiers de la mission anglaise furent traités de nouveau avec une courtoisie parfaite. On leur restitua même la plus grande partie de leurs bagages, qui par occasion avaient été pillés. On leur rendit leurs épées, que l’excellent prince s’était appropriées, « par crainte, disait-il, que ses amis les Anglais ne se blessassent avec leurs propres armes. » Il leur fit l’honneur de les venir voir dans leur logis, les suppliant de ne pas attacher d’importance aux colères passagères auxquelles il s’abandonnait parfois, et d’être convaincus qu’il avait une extrême affection pour eux. Quant au départ, il n’en était pas question : il aimait trop son cher Rassam pour se priver si vite de sa présence. Cependant l’un des missionnaires protestans, M. Flad, fut autorisé à partir pour l’Angleterre avec des lettres que le défiant potentat prit soin de dicter lui-même. Il était chargé de ramener des ouvriers et des machines nécessaires pour la création d’un arsenal militaire. Il n’était pas à craindre que M. Flad ne revînt pas en Abyssinie, car il y laissait sa famille. Théodore, qui l’avait choisi pour ce motif, disait à ses familiers : « Le cœur d’un Européen, c’est sa femme; ses yeux, ce sont ses enfans. M. Flad a une femme et trois enfans que je garde, je suis certain qu’il reviendra et qu’il me rapportera une réponse. »

Tandis que ce missionnaire revenait en Angleterre, la position de ceux qui restaient en Abyssinie ne s’améliorait pas. Notons qu’ils étaient assez nombreux. D’une part les missions de MM. Cameron et Rassam comprenaient 26 personnes, de l’autre les Européens venus de leur gré à diverses époques avec leurs femmes et leurs enfans étaient au nombre de 35, soit en tout 61 Anglais, Français ou Allemands à la merci du cruel monarque d’Ethiopie. Théodore eut d’abord quelques égards pour eux, il les gardait dans son camp, sur les bords du lac Tzana; mais, le choléra s’étant déclaré dans ce canton, il les ramena à Debra-Tabor, où il se mit à les maltraiter de nouveau, et il les envoya sous une forte escorte dans la forteresse de Magdala, où le capitaine Cameron avait déjà passé deux années avant l’arrivée de M. Rassam. Ce revirement parut avoir pour cause la réception de lettres venues de loin. L’une, écrite de Jérusalem, aurait informé le roi que M. Rassam le trompait, et qu’aussitôt que lui et ses compagnons seraient partis les gouvernemens anglais, français et égyptien enverraient en commun une armée pour le détrôner; d’Egypte, on écrivait que ces trois puis-