Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rappela ses vieux griefs contre les captifs. — Tout cela en définitive n’explique rien. Faut-il croire, comme ces malheureux Anglais l’affirment, qu’un des leurs les avait trahis en excitant la défiance du trop irritable souverain? Aigris par de mauvais traitemens inconcevables, ils ne manquèrent pas, — aura-t-on le courage de leur en faire un crime? — de s’accuser mutuellement. Tantôt ils s’en prenaient à Samuel Georgis, chambellan du négus, à qui Cameron reprochait déjà sa première captivité, tantôt ils attribuaient leurs infortunes à un Français, autrefois attaché à la mission de ce consul, qui était passé au service de Théodore et qui avait l’air d’être entré fort avant dans sa confiance[1]. Ne nous arrêtons pas à ces incriminations puériles dont on ne voit nulle part de preuves précises; ne cherchons même pas l’explication de ces événemens dans la conduite de ceux qui en furent les victimes. Il est plus simple et plus conforme aux apparences d’admettre que le roi était emporté par la vanité, par la colère, peut-être par des accès de folie sauvage, comme il en vient à la tête des hommes qui n’ont ni frein ni loi. C’est abaisser l’histoire que d’approfondir les causes des événemens lorsqu’il y a en jeu la volonté d’un despote.

Quoi qu’il en soit, Théodore avait fait arrêter ses anciens prisonniers en même temps que MM. Rassam, Blanc et Prideaux. Dès qu’ils furent tous réunis dans son camp, il les fit comparaître en sa présence. On leur intenta un nouveau procès; les accusations contre le capitaine Cameron et contre les missionnaires furent lues en public; c’était toujours la même chose. Le consul Cameron était allé trouver les Turcs, ennemis de Théodore, et n’avait pas rapporté de réponse à la lettre écrite à la reine d’Angleterre. M. Stern avait mal parlé du roi; M. Rosenthal l’avait appelé un monarque sauvage parce qu’il lui avait vu tuer un homme à Gondar. Les autres, pris en masse, n’avaient commis aucune faute. « Je ne les connais même pas, dit un jour Théodore; ils ont été emprisonnés parce qu’ils étaient tous ensemble. » Après un simulacre d’interrogatoire pendant lequel les Européens eurent la condescendance d’avouer

  1. On raconte que ce Français, nommé Bardel, revint à Paris porteur d’une lettre de Théodore, et qu’il repartit peu de mois après pour l’Abyssinie avec une réponse de Napoléon III, ou, ce qui est plus vraisemblable, du ministre des affaires étrangères. Les uns disent que cette réponse fut bien accueillie, et qu’elle eut pour effet de faire rendre la liberté à deux de nos compatriotes qui étaient alors prisonniers; d’autres prétendent qu’elle recommandait avec chaleur au roi des rois de l’Ethiopie les missionnaires catholiques et leurs adhérens, et que pour cette cause elle fut très mal reçue. Il paraît probable que le gouvernement français est resté froid aux ouvertures qui lui venaient de ce côté. Les sympathies de la France étaient plutôt acquises aux compétiteurs de Théodore, surtout au roi de Tigré, avec lequel, si nous ne nous trompons, des négociations furent entamées à diverses époques, mais sans résultat effectif.