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d’usage en ces pays d’offrir à un visiteur d’importance, une selle dorée, une mule, un cheval, divers autres objets, et enfin une assez grosse somme d’argent. Le roi lui exprima en outre le désir de le voir porter lui-même la lettre adressée à la reine Victoria et rapporter la réponse, ou, s’il ne pouvait faire le voyage, d’attendre au moins à Massaoua que cette réponse fût arrivée. Loin de se conformer à ce désir, le consul partit pour le pays de Bogos, sous prétexte que son gouvernement l’avait chargé d’une enquête sur la culture du coton et les besoins commerciaux de cette contrée, puis il revint à Kassala, de là à Gédarif, sur les confins de la Nubie, et y séjourna quelques mois. Un certain Samuel Georgis, indigène musulman qui avait été au service de plusieurs voyageurs européens et que le roi avait donné à Cameron comme interprète, écrivit au négus que le consul se moquait de lui devant les Turcs. Théodore était très soupçonneux en tout ce qui avait rapport aux Turcs de l’Egypte. Nous l’avons dit, il avait été battu lorsqu’il avait voulu s’agrandir de ce côté. Au nord comme à l’est, les Turcs possédaient une partie de ce qu’il se plaisait à nommer l’ancien royaume d’Ethiopie. D’ailleurs ces redoutables voisins n’étaient-ils pas des hérétiques? Par rancune, par patriotisme et par esprit religieux, il les tenait pour de mortels ennemis. Qu’est-ce que le consul anglais allait faire avec eux? L’infortuné Cameron fut fort mal reçu à son retour de cette excursion. « Qui vous a envoyé dans le Soudan? lui dit le roi dès la première entrevue. — Le gouvernement britannique. — M’apportez-vous une réponse de la reine d’Angleterre? — Non. — Pourquoi cela? — Parce que le gouvernement ne m’a adressé aucune communication à ce sujet. — Que venez-vous donc faire près de moi? — Vous demander la permission de retourner à Massaoua. — Pourquoi? — Parce que le gouvernement m’en a donné l’ordre. — Ainsi votre reine vous donne l’ordre d’aller chez mes ennemis, de retourner à Massaoua, et elle ne m’envoie pas une réponse à la lettre que je lui ai adressée; vous ne partirez pas que cette réponse ne soit arrivée. » Le roi était en mauvaise disposition. Il venait de faire dans le Godjam une campagne qui n’avait pas été heureuse. Il avait eu une altercation avec un voyageur français, M. Guillaume Lejean, l’avait fait mettre en prison et ne l’avait pas relâché sans peine. Vers le même temps, il apprenait que les pèlerins de sa nation avaient été maltraités à Jérusalem, et que le consul anglais de cette ville leur avait refusé sa protection. Les captifs ont prétendu plus tard qu’un des leurs qui avait pris de l’emploi à la cour abyssine les avait calomniés. Quoi qu’il en soit, un jour Théodore donna l’ordre d’enchaîner le consul Cameron, les gens de sa suite et les missionnaires allemands Stern et Rosenthal,