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meux empereur de l’Abyssinie qui régnait au XIe siècle de l’ère chrétienne, et qui devait, au dire d’une vieille chronique, reparaître plus tard pour rendre à l’empire abyssin son antique splendeur, extirper le mahométisme, replanter la croix sur les murs de Jérusalem et rétablir dans les lieux saints l’antique domination de son ancêtre Salomon, le sage roi d’Israël.

Vainqueur de tous ses rivaux, consacré par le chef spirituel de la contrée, Théodore, — car nous ne devons plus le désigner que sous ce nom, — fut accueilli par ses nouveaux sujets avec le double prestige que donnent la force et la religion. Qu’était ce chef parvenu par de tels moyens à la puissance souveraine? Les rapports du consul Plowden le dépeignent à cette époque comme un homme jeune, vigoureux, énergique, imbu de l’idée que la Providence l’avait choisi pour être le réformateur social et politique de sa patrie. Sévère et généreux envers ses soldats, enrichi par des conquêtes, il avait une armée de 50 ou 60,000 hommes qui lui était dévouée. Dans les guerres d’Abyssinie, quand un chef est battu ou fait prisonnier, ses partisans passent dans le camp du vainqueur. Suivant la coutume du pays, les deux Anglais Bell et Plowden, après la défaite de leur premier protecteur Ras-Ali, avaient pris le parti de Théodore, l’un conservant son titre de consul britannique, l’autre devenu en quelque sorte un favori, un conseiller intime dont les sages avis, toujours écoutés, ne contribuèrent pas peu aux succès de son nouveau patron. On raconte que Bell accompagnait Théodore en toutes ses campagnes, qu’il couchait sous la même tente, et qu’aux heures de loisir il lui traduisait Shakspeare. Ces premières années furent le beau temps du règne de l’empereur d’Ethiopie. Faut-il en attribuer le mérite aux qualités propres du souverain ou bien à l’influence des deux Anglais qu’il retenait auprès de lui? On ne sait; toujours est-il que les victoires succédaient aux victoires, les provinces les plus éloignées n’osaient plus refuser leurs tributs. On se disait partout que le règne glorieux et longtemps attendu du Théodore légendaire était enfin arrivé. Tout au moins ces idées étaient-elles acceptées sans répugnance par la multitude de soldats qui composait l’armée et la cour; quant au peuple, on verra bientôt qu’il n’en était pas aussi convaincu. Au surplus, le souverain ne cachait plus ses prétentions : il voulait expulser les musulmans, conquérir l’Egypte et envoyer aux grands états européens des ambassades pour traiter avec eux sur le pied de l’égalité.

Toutefois un parent d’Oubié, du nom de Négousié, avait levé l’étendard de la révolte dans le Tigré. Il protégeait les missionnaires catholiques que Théodore avait bannis de son empire. Depuis son expulsion de l’Amhara, Mgr de Jacobi habitait le Tigré. Il s’était