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I.

En 1838, un jeune officier de la marine de l’Inde, John Bell, abandonnait sa carrière, et, entraîné par le goût des voyages, se rendait en Abyssinie. Il y vécut quatre ans d’une existence vagabonde, puis revint en Égypte, y fit la rencontre d’un autre officier de la compagnie des Indes, Walter Plowden, qui rentrait en Angleterre, lui persuada de tenter avec lui cette vie aventureuse, et réussit à l’emmener dans les montagnes de l’Ethiopie. Plowden avait vingt-trois ans, et Bell n’était guère plus âgé. Ces deux jeunes gens voulaient, comme tant d’autres, courir à la recherche des sources du Nil. Après avoir erré quelque temps au hasard et s’être acquis l’amitié de plusieurs chefs indigènes, John Bell ne fit pas de difficulté pour devenir citoyen de cette étrange contrée. Ras-Ali le nomma général, et lui fit cadeau du village de Diddin, à quatre ou cinq heures de marche de Debra-Tabor. Le jeune Anglais épousa la fille d’un petit tyran du voisinage, il en eut plusieurs enfans, et se fit si bien à sa nouvelle condition qu’il oublia presque, dit-on, sa langue maternelle. Au contraire Plowden conservait, paraît-il, quelque esprit de retour en sa patrie. Après cinq années d’absence, il revenait à Massaoua en compagnie d’un ambassadeur que Ras-Ali envoyait à la reine Victoria. La traversée de la Mer-Rouge ne fut pas heureuse. L’officier anglais, l’ambassadeur et les présens dont il était chargé firent naufrage auprès de Suez, et n’arrivèrent pas sans peine en Égypte. L’envoyé abyssin avait été tellement effrayé de ce premier voyage par mer qu’il ne voulut pas en tenter un second. Plowden partit seul pour l’Angleterre.

Le cabinet anglais était assez mal renseigné sur les événemens intérieurs de cette partie de l’Afrique orientale, dont il n’avait assurément qu’un médiocre souci. Toutefois lord Palmerston consentit à gratifier Walter Plowden du titre de consul de sa majesté britannique en Abyssinie avec la mission spéciale de conclure un traité de commerce et d’alliance avec le souverain de cette contrée lointaine. Le nouveau consul revint droit à la cour de son ancien ami Ras-Ali. Ce petit potentat fut très satisfait des présens qu’on lui rapportait d’Angleterre; toutefois l’offre d’un traité le laissa un peu froid. Quand on lui en lut les clauses et conditions, qu’il n’écouta pas sans bâiller, il répondit avec plus de bon sens qu’on n’en aurait attendu d’un sauvage qu’il n’y voyait aucun mal, que c’était même excellent, mais qu’il lui semblait tout à fait inutile de signer cela par le motif qu’il n’y aurait pas en dix ans un seul négociant anglais assez hardi pour pénétrer dans les montagnes de l’Ethiopie. Néanmoins il